Au moment où la sénatrice républicaine, naguère imbattable, lutte pour conserver son siège, un vote pour pourvoir le poste laissé vacant à la Cour suprême par la mort de la progressiste Ruth Bader Ginsburg se profile à l’horizon. Le président a d’ailleurs promis, samedi, de dévoiler le nom de son candidat « rapidement ». Après avoir appuyé la nomination de Brett Kavanaugh, au grand dam de ses électeurs modérés, que fera cette fois Susan Collins ?

« Les gens du Maine aiment les indépendants. »

Sur la galerie d’une maison de Bath, à environ une demi-heure en voiture au nord-est de Portland, Lisa Savage résume en une phrase l’état d’esprit de la plupart de ses concitoyens. À plusieurs reprises, les Mainers, comme ils se désignent, ont choisi des politiciens ni trop bleus ni trop rouges, souvent indépendants.

À preuve, les deux sénateurs qu’ils ont envoyés au Sénat à Washington sont à l’image de ce qu’apprécient les Mainers : l’indépendant Angus King et la républicaine Susan Collins, en poste depuis 1997.

Depuis plus de 20 ans, donc, Susan Collins table sur son image de modérée qui travaille de concert avec les élus des autres partis, et voit son mandat de six ans renouvelé sans interruption ni réelle concurrence. La dernière fois, en 2014, elle avait écrabouillé son adversaire en remportant 68,5 % des voix.

J’ai souvent voté pour elle. J’ai toujours aimé l’idée qu’on ait des politiciens qui puissent aller au-delà de la partisanerie.

Scott Fortin, hôtelier à Ogunquit

Mais ces dernières années, la colère n’a cessé de monter chez ses électeurs modérés. Et cette insatisfaction s’est incarnée en un moment bien précis : le vendredi 5 octobre 2018, jour où elle a déclaré, après des semaines de suspense, qu’elle voterait finalement pour la nomination à la Cour suprême du juge Brett Kavanaugh, visé par des allégations d’agressions sexuelles.

Ce jour-là, ils ont été nombreux à déchanter. « C’était son occasion d’être indépendante, dit Elliott Green, qui habite non loin de Kittery. Et elle ne l’a pas été ! »

Dans cet État où les deux tiers des adultes sont favorables au droit à l’avortement, selon le Pew Research Center, la sénatrice autrefois imbattable tire aujourd’hui de l’arrière dans les sondages face à la candidate démocrate Sara Gideon. Et voilà qu’au moment où elle se bat pour conserver son siège, un nouveau vote pour confirmer la nomination d’un juge à la Cour suprême se profile à l’horizon, à la suite de la mort de la juge Ruth Bader Ginsburg.

Intentions de vote en septembre

Sara Gideon : 47,2 %

Susan Collins : 41 %

Source : moyenne des sondages compilés par Real Clear Politics

Dans une déclaration samedi, la sénatrice a annoncé sa préférence pour la tenue d’un vote au Sénat après les élections du 3 novembre. Le président Trump « a l’autorité constitutionnelle de nommer quelqu’un pour pourvoir un poste vacant à la Cour suprême et je n’ai pas d’objection à ce que la commission judiciaire du Sénat commence à examiner les références de son nommé », a écrit Susan Collins. Mais « par honnêteté envers le peuple américain […], cette décision de nomination à vie à la Cour suprême devrait être prise par le président qui sera élu le 3 novembre », a-t-elle ajouté.

Si le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell décidait d’aller de l’avant avec le processus de nomination, que fera Susan Collins ?

PHOTO ROBERT F. BUKATY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sara Gideon, candidate démocrate au poste de sénatrice de l’État du Maine

Pour beaucoup d’électeurs du Maine, sa décision importe peu : les intentions de vote montrent déjà qu’une importante proportion d’entre eux lui ont déjà tourné le dos et comptent voter pour la candidate démocrate Sara Gideon.

Quelle indépendance ?

Depuis vendredi soir, les regards sont tournés vers Susan Collins. Elle et une poignée d’autres sénateurs républicains ont déjà, par le passé, estimé publiquement qu’un nouveau juge ne devait pas être nommé à la Cour suprême lors d’une année électorale. En 2016, le sénateur de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, s’était vigoureusement opposé à l’intention du président Obama de nommer un juge pendant une année électorale. Samedi, Graham a déclaré qu’il allait appuyer « tous les efforts pour aller de l’avant » pour pourvoir le siège laissé vacant par le décès de Ruth Bader Ginsburg.

Si Susan Collins n’a pas fait une volte-face aussi spectaculaire, sa déclaration a toutefois été critiquée sur les réseaux sociaux, notamment parce qu’elle ne ferme pas la porte à l’examen de la commission judiciaire d’un candidat nommé par Donald Trump.

Une posture qu’a appris à reconnaître Sean McFadden. « Susan Collins attend que ce soit déjà décidé pour se prononcer », dit ce résidant rencontré à Wells. « À la fin, elle a toujours appuyé tout ce que Trump lui disait d’appuyer », dit de son côté Bonnie Maguire, démocrate rencontrée à Searsmont qui n’a jamais cru à l’indépendance de la sénatrice au sein du caucus républicain, mais qui a été particulièrement choquée qu’une femme puisse voter pour la nomination du juge Kavanaugh.

J’ai une amie républicaine qui a décidé de ne plus voter pour Collins à cause du vote de Kavanaugh à la Cour suprême. Ça, et l’occasion que Susan Collins n’a pas saisie de voter pour la destitution.

Bonnie Maguire

« C’est la première fois que je ne voterai pas pour elle, annonce Sean McFadden. C’est le temps de changer. » Sara Gideon, présidente de la Chambre des représentants du Maine, ne suscite pas particulièrement l’enthousiasme des électeurs, qui disent ne pas bien la connaître. Leur vote, dans bien des cas, est surtout dirigé « contre » la sénatrice Collins plutôt que « pour » sa rivale.

« Susan Collins a fait la preuve depuis longtemps qu’on ne peut pas compter sur elle, dit Lisa Savage, qui se présente comme candidate indépendante dans cette course sénatoriale, l’une des plus suivies au pays. Je suis la seule des candidates à ne pas avoir accepté de l’argent des grandes entreprises. »

De l’argent qui a notamment été déversé sur les ondes radio et télé. Plus de 83 millions de dollars ont été dépensés pour cet État qui compte seulement 1,3 million d’habitants. Aux heures de grande écoute, les publicités électorales se succèdent sur les grands réseaux à raison de deux ou trois de suite, depuis le début de l’été. De quoi écœurer certains électeurs, comme Sean McFadden… « Je commence même à m’ennuyer des publicités de compagnies d’assurance ! »

L’option « nucléaire »

La procédure de désignation des juges à la Cour suprême prévoit depuis des décennies qu’il faut avoir l’appui d’au moins 60 des 100 sénateurs en place pour pouvoir procéder à un vote sur une candidature donnée. Actuellement, les républicains disposent d’une majorité de 53 élus contre 47 aux démocrates. En 2017, lors du vote de confirmation du juge Neil Gorsuch, les élus républicains ont voté pour revoir la procédure en question de manière à ce qu’il soit possible de forcer la tenue d’un vote de nomination avec une majorité simple, privant l’opposition de toute possibilité d’obstruction parlementaire (filibuster). Neil Gorsuch n’avait pas réussi à recueillir le nombre d’appuis requis dans les rangs des démocrates pour atteindre le seuil critique de 60 voix et permettre la tenue d’un vote de nomination. Le président avait lui-même encouragé le leader de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, à « passer au nucléaire », si un tel blocage se concrétisait, déclarant que ce serait « une honte absolue » que la Cour suprême soit privée d’un magistrat « d’une telle qualité ». Le vote de confirmation avait finalement pu avoir lieu après la réforme controversée ; Neil Gorsuch a reçu l’appui de 54 sénateurs, dont 3 démocrates. — La Presse

Des sénateurs républicains menacés

Susan Collins fait partie de la demi-douzaine de sénateurs républicains présentement au cœur de luttes électorales très serrées. Cory Gardner (Colorado), David Perdue (Georgie), Thom Tillis (Caroline du Nord), Joni Ernst (Iowa) et Steve Daines (Montana) sont au coude-à-coude dans les sondages avec leurs rivaux démocrates, tandis qu’en Arizona, dans une élection spéciale, l’ancien astronaute Mark Kelly a un net avantage sur la républicaine Martha McSally, qui avait été nommée l’an dernier pour remplacer le défunt sénateur John McCain. Le résultat de ces luttes, s’il favorise les démocrates, pourrait permettre à ceux-ci de reprendre le contrôle du Sénat, où les républicains ont présentement l’avantage (53-47). Mais à l’exception de Kelly, qui pourrait siéger dès le 30 novembre s’il l’emporte, les sénateurs nouvellement élus n’entreront en poste qu’en janvier. Ce qui laisserait théoriquement le temps au Sénat toujours dominé par les républicains d’entériner la nomination du juge proposé par Donald Trump, que celui-ci gagne ou non l’élection présidentielle… — La Presse