(Portland) Quelque 200 personnes ont encore manifesté vendredi soir à Portland et une vingtaine d’entre elles ont été interpellées sans ménagement, comme presque toutes les nuits depuis la flambée d’indignation suscitée fin mai par la mort de George Floyd sous le genou d’un policier blanc aux États-Unis.

Au plus fort du mouvement réclamant la fin des discriminations raciales et brutalités policières, les manifestants, en majorité issus de la population blanche de la plus grande ville de l’Oregon (650 000 habitants), se massaient dans le centre-ville près des tribunaux fédéraux.  

Depuis quelques semaines, ils choisissent tous les soirs un site différent dans cette ville de l’ouest des États-Unis, commissariat de quartier ou local syndical de la police, comme vendredi soir.

PHOTO NOAH BERGER, AP

La chorégraphie semble bien rodée après 100 jours de répétition : des militants vêtus de noirs et casqués viennent provoquer et insulter les forces de l’ordre, qui commencent par leur intimer l’ordre de rester à distance.

« Démissionnez ! », « A-C-A-B, all cops are bastards (tous les flics sont des salauds) », scande périodiquement la foule.

Souvent, comme vendredi soir, des tirs de gaz lacrymogènes et de « munitions non létales » finissent par répondre aux invectives et aux jets de bouteilles d’eau.

Puis des dizaines de policiers en tenue de combat bondissent pour arrêter des manifestants, frappant certains au passage.

« C’est très dur, les dernières semaines ont été incroyablement éprouvantes », lâche Fran, 41 ans, une militante de la première heure dont l’association « Snack Block » distribue gratuitement eau, nourriture et équipement de protection aux manifestants.

Sur son stand, on trouve même des chaussettes neuves, des masques respiratoires et de petits cochons en caoutchouc qui couinent quand on les presse, pour mieux provoquer les policiers. Pour les Américains, « Cochon » est l’équivalent de « poulet » pour désigner les policiers.

« Maintenant, “on sort ce soir” ne veut plus dire “on va au restaurant ou au cinéma”, ça veut dire “mets ton masque et tes lunettes de protection et espérons qu’on ne se fera pas gazer par la police », dit Fran, évoquant le « traumatisme » subi certains soirs de manifestations lors des charges de policiers.

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« Quand tu es entourée de gaz lacrymogène et que tu entends ton cœur battre sous ton casque, c’est comme regarder un très mauvais film », assure-t-elle.

La menace des groupes d’extrême droite

Comme beaucoup d’autres militants anti-racistes ou antifascistes qui font vivre le mouvement, Fran dit aussi avoir peur des groupes d’extrême droite basés dans la région, parfois armés et prônant la suprématie blanche.

Habitués aux démonstrations de force depuis la première campagne présidentielle de Donald Trump en 2016, ils viennent régulièrement en ville pour en découdre.

Or certains d’entre eux ont appelé à des rassemblements ce week-end près de Portland, dans un contexte particulièrement tendu.

« C’est eux que la police va protéger, pas nous, c’est effrayant. Qu’est ce qu’on peut faire ? », lance Fran.

Aaron Danielson, 39 ans, un partisan d’un de ces groupuscules nommé Patriot Prayer, a été tué par balle la semaine dernière à Portland, en marge d’un défilé.

Un homme de 48 ans suspecté de ce meurtre, qui se proclamait « antifasciste » sur les réseaux sociaux, a été abattu jeudi par la police qui était à sa recherche dans l’État voisin de Washington. Michael Reinoehl aurait tenté de s’enfuir et empoigné une arme à feu lorsqu’il a été tué.

« J’ai peur. On combat ces fascistes depuis des années à Portland mais ça n’a jamais été comme ça », assure Barak, manifestant de la première heure.

« Pour eux, quelqu’un qui dit “Black Lives Matter” (les vies noires comptent) c’est une attaque personnelle, ils ne prennent pas ça comme une revendication pour l’égalité mais comme une menace », estime le jeune travailleur social, enfant d’immigrés égyptiens.

« Pourtant ce sont des gens de la classe ouvrière, ils devraient vraiment avoir les mêmes buts que nous », déplore-t-il.