(NEW YORK ) Alors que les Américains célèbrent ce samedi leur fête nationale, les nouvelles des derniers jours sont loin d’être réjouissantes. Le déconfinement hâtif dans bien des États a provoqué une nouvelle flambée de COVID-19, à tel point que nombre d’entre eux ont été forcés de faire marche arrière. Bilan d’un fiasco que les Canadiens observent avec appréhension.

Autopsie d’un fiasco

Lorsque Matthew William a mis le cap sur le Texas, l’avant-dernier week-end de mai, il ne cherchait pas à fuir la pandémie de coronavirus qui avait fait des ravages dans le nord-est des États-Unis, et plus particulièrement à New York, sa ville natale.

Mais le jeune diplômé en criminologie savait qu’il se dirigeait vers un État dont l’économie était rouverte depuis le 1er mai. Et il a vite compris qu’il entrait dans une nouvelle dimension de la COVID-19 en arrivant à Austin, la capitale texane où il a déménagé ses pénates.

PHOTO CHANDAN KHANNA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Balades sur Ocean Drive, à Miami Beach en Floride, le 26 juin dernier

« Ce n’était pas aussi tendu. À New York, le seul fait de sortir de ton immeuble était effrayant. », a-t-il raconté cette semaine au téléphone.

Ici, les gens tentent de prendre des précautions, mais ils sont habitués à un certain mode de vie, surtout à Austin. Les gens se réunissent dans les bars pour boire ou à l’extérieur pour participer à des activités auxquelles ils ne veulent pas renoncer parce qu’elles font partie de leur identité.

Matthew William

« C’était vraiment plus relax », a-t-il ajouté. Et c’était la recette idéale pour permettre à la COVID-19 de se propager comme une traînée de poudre.

Largement épargné au cours des premiers mois de la pandémie de coronavirus, le Texas est devenu l’une des zones rouges avec l’Arizona et la Floride, qui ont en commun d’avoir été parmi les premiers à rouvrir leur économie.

Avec la Californie, ces États auront contribué au fiasco du déconfinement aux États-Unis, où le bilan quotidien des cas recensés de contamination a atteint samedi le cap des 44 000 cas. On avait dépassé mercredi pour la première fois les 50 000 cas rapportés en 24 heures.

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Repas sur terrasse et ambiance décontractée, lundi dernier, au centre d’Austin, au Texas

Samedi, on dénombrait 4942 nouveaux cas au Texas. Constat similaire en Arizona, où le bilan quotidien montrait 2 695 habitants ayant contracté la COVID-19. En Floride, on comptait 11 458 nouvelles personnes atteintes dans les dernières 24 heures.

L’économie avant la science

La Dre Erin Carlson a craint ce fiasco dès ce premier jour de mai où le Texas a donné le feu vert à la réouverture de ses restaurants, de ses commerces et de ses plages. Le cas du Lone Star State illustre ce qui s’est passé dans plusieurs États du Sud.

« Je sais que notre État a rouvert pour des raisons économiques plutôt qu’en suivant les directives de santé publique », a dit à La Presse la professeure de médecine clinique à l’Université du Texas à Arlington. « Fondamentalement, on en revient toujours au même concept : il faut se fier à la science », a-t-elle ajouté.

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Greg Abbott, gouverneur du Texas

Sur ce plan, le Texas a échoué de façon magistrale. Avant de redémarrer son économie, l’État aurait notamment dû avoir enregistré, sur une période de 14 jours, une diminution des cas détectés de contamination ou des tests positifs en pourcentage du total des tests, selon les directives émises par la Maison-Blanche.

Or, comme plusieurs de ses homologues républicains, le gouverneur du Texas Greg Abbott a ignoré ces directives avec la bénédiction de Donald Trump lui-même. Après la réouverture de son État, il a par ailleurs refusé de donner aux responsables des comtés texans les plus populeux la permission d’imposer le port du masque dans les lieux publics. Ces comtés incluent les villes où la COVID-19 frappe le plus fort, dont Houston et Dallas.

  • Une manifestation contre le port obligatoire du masque s’est tenue lundi dernier à Austin, au Texas.

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    Une manifestation contre le port obligatoire du masque s’est tenue lundi dernier à Austin, au Texas.

  • Alex Jones, figure de proue du réseau InfoWars et propagateur de théories du complot, était présent
pour galvaniser la foule.

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    Alex Jones, figure de proue du réseau InfoWars et propagateur de théories du complot, était présent
pour galvaniser la foule.

  • Environ 150 personnes ont participé à la manifestation.

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    Environ 150 personnes ont participé à la manifestation.

  • Une manifestation du même genre s’est aussi tenue en Floride, le 1er juillet, à Sanford, après la décision du comté de Seminole d’ordonner le port du masque dans les lieux clos fréquentés comme les commerces.

    PHOTO JOE BURBANK, ASSOCIATED PRESS

    Une manifestation du même genre s’est aussi tenue en Floride, le 1er juillet, à Sanford, après la décision du comté de Seminole d’ordonner le port du masque dans les lieux clos fréquentés comme les commerces.

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Il y a deux semaines, après l’explosion des cas de contamination au Texas, le gouverneur est revenu sur ce refus. Jeudi, il est allé plus loin en imposant de façon quasi universelle le port du masque dans les lieux publics de son État. Mais cette mesure demeure un sujet délicat, voire explosif, comme à peu près tout ce qui touche à la COVID-19.

« Il est extrêmement préoccupant que le port du masque et la crainte d’une maladie infectieuse soient politisés », a déclaré la Dre Carlson. « J’espère que les gens finiront par voir le port du masque comme une expression de bonté à l’égard d’autrui plutôt qu’un symbole politique. »

Pour un nouveau confinement

Moins contraignantes que dans plusieurs États, les règles de confinement au Texas ont été levées après 28 jours. Elles n’ont cependant pas été remplacées de façon adéquate par le trio de mesures recommandées par les experts en santé publique pour un déconfinement sûr : dépistage, traçage et isolement.

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Les gens étaient nombreux à faire la queue pour se faire tester gratuitement devant le consulat du Mexique à Houston, lundi dernier.

« Le confinement n’a jamais représenté un remède. Il n’était qu’un bouton pause », a déclaré à La Presse Jennifer Nuzzo, épidémiologiste à l’Université Johns Hopkins. « Si vous appuyez à nouveau sur le bouton pour redémarrer l’économie sans rien faire d’autre pour stopper la croissance des cas, il n’y a aucune raison pour que vous ne vous retrouviez pas dans la même position qu’avant ou, dans certains cas, dans une position pire encore. Et la chose préoccupante est que plusieurs États n’avaient rien planifié pour répondre à l’augmentation des cas de contamination. » En conséquence, la Dre Nuzzo estime que certains États devront se résoudre à imposer de nouveau des mesures de confinement.

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Comme ailleurs en Californie, le State Park Torrey Pines et sa plage, à San Diego, ont été fermés.

C’est d’ailleurs ce que la Californie a fait plus tôt cette semaine. Malgré un redémarrage plus graduel qu’au Texas ou en Floride, l’État a décidé d’interdire à nouveau tout service de restauration en espaces clos dans 19 comtés, dont celui de Los Angeles. L’interdiction s’étend également aux bars, cinémas et musées, pour une durée d’au moins trois semaines.

« Malheureusement, compte tenu de l’augmentation des cas de contamination, ces États n’ont pas de solution de rechange, a déclaré la Dre Nuzzo. Les États doivent tenter de ralentir la croissance des cas au point où ceux-ci sont plus gérables et d’appuyer sur l’accélérateur pour mettre en place un système adéquat de dépistage, de traçage et d’isolement. »

Au Texas, les responsables des quatre comtés les plus populeux de l’État ont demandé mardi au gouverneur Abbott de leur permettre d’imposer de nouveau des mesures de confinement sur leur territoire. Le gouverneur a cependant déclaré le 25 juin qu’il n’entendait pas « revenir en arrière » sur cette question. Il s’est contenté d’annoncer la fermeture temporaire des bars de son État, une décision imitée par ses homologues de Floride et d’Arizona, entre autres.

Une information « encourageante » ?

Brian Strom, épidémiologiste et recteur de la faculté des sciences biomédicales et de la santé de l’Université Rutgers, au New Jersey, met ces « demi-mesures » sur le compte de la naïveté.

La relance de l’économie n’est pas dissociable de la lutte contre la pandémie.

Brian Strom, épidémiologiste à l’Université Rutgers

« Si vous ne stoppez pas le virus, poursuit-il, les gens ne sortiront pas pour aller magasiner ou manger au restaurant. Je pense qu’ils devront remettre l’économie sur pause. Autrement, les cas de contamination vont continuer à augmenter, et les décès suivront. » Pour le moment, la nouvelle flambée des cas de contamination ne s’est pas encore traduite par une hausse importante des morts liées à la COVID-19.

Le vice-président Mike Pence s’en est réjoui plus tôt cette semaine. Du même coup, il a qualifié d’« encourageante » l’information selon laquelle « environ la moitié des nouveaux cas sont des Américains de moins de 35 ans ».

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Le vice-président, Mike Pence, lundi dernier, lors d’un point de presse commun avec le gouverneur du Texas

Mais la Dre Carlson ne trouve rien de réconfortant dans cette nouvelle. « La raison pour laquelle je ne trouve pas cela réconfortant est que chaque personne infectée par la COVID-19 en infecte deux autres, en ce moment », a dit la professeure de l’Université du Texas à Arlington. « Si une de ces deux personnes est fragile d’une quelconque façon – elle peut être atteinte d’un cancer ou rendue à un âge avancé –, elle pourrait mourir de cette maladie. Donc, s’il est vrai qu’une jeune personne s’en remettra probablement sans complications, ce ne sera pas nécessairement le cas des autres personnes qu’elle infectera, que ce soit une grand-mère ou une mère qui a survécu à un cancer. »

Reste à voir quel message les jeunes Américains retiendront en ce week-end de fête nationale : celui du vice-président Pence ou celui de la Dre Carlson ?

Les Canadiens prêts à recevoir les Américains ?

Dans quelle province trouve-t-on les Canadiens les plus enthousiastes à l’idée d’accueillir de nouveau des visiteurs en provenance des États-Unis ? Selon un sondage réalisé par Destination Canada, il s’agit du Québec. Tout est relatif, bien sûr. Selon le sondage publié le 23 juin, 24 % des répondants québécois sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée de recevoir des visiteurs des États-Unis. C’est 9 points de pourcentage de plus que les Albertains, les plus enthousiastes après eux et 18 points de pourcentage de plus que les habitants de la Colombie-Britannique, les moins enthousiastes de tous les Canadiens. Le sondage de la société d’État fédérale a été réalisé avant que les médias américains et canadiens ne mettent l’accent sur la nouvelle flambée de cas de contamination au coronavirus dans plusieurs États américains. Autrement dit, la grande majorité des Canadiens – et des Québécois – accueilleraient probablement de façon positive la décision de fermer la frontière canadienne aux ressortissants américains au-delà du 21 juillet, date prévue de sa réouverture.

Aux États-Unis, le Canada est un exemple

Le nombre de cas de COVID-19 recensés aux États-Unis ainsi que de morts liées à la maladie ne cesse d’augmenter. En quête de solutions, les Américains s’intéressent… au Canada. La capacité des Canadiens à avoir « aplati la courbe » est mise sous les projecteurs de façon inédite dans un reportage du réseau CNN paru samedi. On se penche sur les initiatives de dépistage massif – citant à titre d’exemple une clinique mobile dans un bus de la Société de transport de Montréal – et à la vigilance prônée par le gouvernement même une fois la pandémie ralentie. On cite au passage les mesures de distanciation physique plus strictes, la durée prolongée de la fermeture de commerces, un système de santé gratuit ainsi qu’un déconfinement qui s’est fait plus graduellement que chez nos voisins du Sud. Selon le même reportage, le ralliement de la classe politique fédérale et provinciale pour contrer la propagation du virus a été déterminante, faisant référence au premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, qui fait l’éloge de Chrystia Freeland, vice-première ministre libérale. Au Canada, insiste-t-on, les voyageurs qui entrent au pays sont soumis à un isolement de deux semaines, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis malgré la fermeture de la frontière.
– Mayssa Ferah, La Presse

Manifestations et contaminations : le cas new-yorkais

« C’est un virus sans vaccin. Nous avons toujours su que cela arriverait, surtout quand vous avez des dizaines de milliers de personnes dans la rue. […] Cela ne devrait surprendre personne. »

PHOTO JOHN MINCHILLO, ASSOCIATED PRESS

Manifestation devant le Madison Square Garden, le 19 juin dernier, dans la foulée de la mort violente de George Floyd

Comme d’autres élus de son parti, le représentant républicain du Texas Dan Crenshaw a attribué cette semaine l’explosion des cas de contamination à la COVID-19 dans son État et ailleurs aux manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd dans plusieurs villes américaines.

PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

Le représentant républicain texan Dan Crenshaw salue le président Trump en décembre dernier.

Le cas de New York semble le faire mentir. Le 27 mai dernier, jour qui a précédé les premières manifestations à New York, la ville a recensé 754 nouveaux cas de contamination à la COVID-19. Or, selon les plus récentes données, le bilan quotidien des cas confirmés à New York n’a pas cessé de décliner depuis, et ce, malgré des manifestations quotidiennes.

Qui plus est, la dernière fois où ce bilan a dépassé le cap des 300 remonte au 23 juin dernier. Le taux de positivité, qui se situait à environ 3 % au début de juin, est par ailleurs passé à 2 % à la fin du même mois.

PHOTO BRYAN R. SMITH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation à Greenwich Village, à New York, le 19 juin dernier, dans la foulée de la mort violente de George Floyd.

Au-delà du fait que les manifestations se déroulent en plein air, plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation new-yorkaise, selon Brian Strom, épidémiologiste et recteur de la faculté des sciences biomédicales et de la santé de l’Université Rutgers, au New Jersey.

« Premièrement, plusieurs manifestants portaient le masque, même si un nombre important d’entre eux n’en avaient pas », a-t-il déclaré à La Presse, en précisant que l’explication s’appliquait à l’ensemble des manifestations aux États-Unis. « Deuxièmement, plusieurs personnes sont restées à l’intérieur À CAUSE des manifestations. »

Dans le cas de New York, le DStrom ajoute que la présence de la COVID-19 au sein de la population a été réduite de façon considérable par les mois de confinement auxquels celle-ci a dû se soumettre. Mais il n’est pas prêt à tirer de conclusions à partir des données rendues publiques par la Ville de New York mercredi.

« Les manifestants sont jeunes, et plusieurs de ceux qui ont pu attraper la maladie sont asymptomatiques, a-t-il dit. Il n’est donc peut-être pas possible de déceler leurs transmissions parmi la baisse générale des cas de contamination à New York et au New Jersey. »

Effet boule de neige

Une chose est sûre : l’explosion des cas de contamination dans le sud et l’ouest des États-Unis a convaincu la Ville de New York et l’État du New Jersey de retarder la prochaine phase de leur déconfinement. Celle-ci devait notamment permettre aux restaurants d’accueillir des clients à l’intérieur dès lundi.

PHOTO KATHY WILLENS, ASSOCIATED PRESS

Repas sur terrasse ou à emporter dans un restaurant de New York. Le maire de Blasio a reporté l’ouverture des salles à manger en raison des risques associés à la résurgence de cas dans plusieurs États américains.

« Nous sommes tous inquiets de voir que manger à l’intérieur d’un restaurant est devenu un problème », a déclaré le maire de New York Bill de Blasio en conférence de presse mercredi.

Encore la semaine dernière, j’avais un espoir, mais les informations qui proviennent de tout le pays sont de pire en pire.

Bill de Blasio, maire de New York

La veille, le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, avait étendu à 16 le nombre d’États américains dont les visiteurs devront se soumettre à une quarantaine en arrivant dans l’Empire State, épicentre de la pandémie il n’y a pas longtemps. La liste, qui comprenait seulement huit États la semaine dernière, compte désormais la Californie, le plus peuplé.

Le DStrom salue la prudence des élus de New York et du New Jersey, qui peuvent se vanter d’avoir maîtrisé la pandémie sur leur territoire. « New York et le New Jersey ont été durement touchés sur le plan économique au début, mais ils vont probablement s’en remettre plus rapidement que les autres en raison de leur stratégie d’atténuation, a-t-il dit.

Cela ne veut pas dire qu’ils ne connaîtront pas une résurgence du virus. Mais celle-ci devrait être moins prononcée qu’en Arizona ou au Texas. »