(New York) Assis sur un tabouret au milieu de sa bijouterie, Pinky Vaid hausse la voix pour couvrir le bruit des scies circulaires et des marteaux qui monte de Broadway, en plein cœur de Manhattan.

Comme plusieurs autres commerçants du quartier dominé par le magasin phare de la chaîne Macy’s, il a dû retenir les services de menuisiers pour faire placarder ses vitrines cassées au cours des pillages de la veille.

Il ne cache pas sa colère.

« J’ai appelé le 911 à 21 h 30. Les policiers sont arrivés à 1 h du matin. Pendant ce temps, les pillards sont arrivés par vagues et ont volé tous les bijoux de valeur, les ordinateurs, la caisse enregistreuse, tout. Ils étaient surexcités. Pour eux, c’était une partie de plaisir. Ils savaient que rien ne pouvait les arrêter. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Pinky Vaid

Depuis la mort de George Floyd, des milliers de New-Yorkais ont participé à de multiples manifestations pacifiques pour dénoncer la brutalité policière et le racisme aux États-Unis. Mais ces manifestations ont été suivies par des soirées de violences et de pillages qui ont atteint leur apogée lundi.

Et les forces de l’ordre ont été incapables de protéger des symboles commerciaux comme Macy’s, Nike et Bergdorf Goodman, sans parler des magasins plus modestes comme celui de Pinky Vaid.

« Je n’ai jamais vu un manque aussi flagrant de leadership de la part d’un maire, a déclaré l’homme d’affaires d’origine indienne. J’ai l’impression d’être dans un pays du tiers-monde. Ce n’est pas l’Amérique, c’est le tiers-monde. Il n’y a pas de loi. Il n’y a pas de police. Il n’y a que des politiciens qui veulent des votes sans se préoccuper des citoyens ordinaires, sans se préoccuper des petits commerçants. »

PHOTO WONG MAYE-E, ASSOCIATED PRESS

Une policière pourchasse des pillards, à New York

Cuomo critique de Blasio

D’Albany, capitale de l’État de New York, le gouverneur Andrew Cuomo s’est montré tout aussi critique à l’égard de Bill de Blasio, maire de la métropole américaine, et de son service de police.

« Le NYPD et le maire n’ont pas fait leur travail [lundi] soir », a dit Cuomo en conférence de presse

« On a vu des pillages généralisés dans toute la ville qu’ils n’ont pas stoppés. Regardez les vidéos. C’est inexcusable », a-t-il ajouté en reprochant au maire démocrate d’avoir « sous-estimé l’ampleur et la durée du problème », de même que le nombre de policiers requis pour le gérer.

Le gouverneur a indiqué que les 13 000 membres de la Garde nationale avaient été mis en attente, au cas où des maires de son État réclameraient leur déploiement sur leur territoire. Bill de Blasio, lui, a déclaré qu’il ne voulait rien savoir d’un tel renfort.

« Nous n’avons pas besoin de la Garde nationale, et nous ne pensons pas qu’il est judicieux de la faire venir à New York », a-t-il dit lors d’une conférence de presse, notant que sa ville comptait 36 000 policiers, dont 8000 ont été déployés lundi soir (ils ont effectué près de 700 arrestations).

PHOTO JOHANNES EISELE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Plusieurs grands magasins de la célèbre 5e Avenue, au cœur de Manhattan, ont été pillés lundi soir.

N’empêche : le maire de New York a renforcé mardi une mesure que sa ville n’avait pas mise en place depuis 1943. Il a prolongé jusqu’au 7 juin le couvre-feu imposé lundi soir. La mesure exceptionnelle devait être en vigueur de 20 h à 5 h. La veille, elle avait commencé à 23 h, sans effet.

Bill de Blasio a promis de se montrer intraitable à l’égard des « personnes de l’extérieur », des « membres de gang » et des « criminels ordinaires » qui ont commis selon lui les pillages et les actes de violence à Manhattan et dans le Bronx lundi soir.

Fiorello La Guardia était le dernier maire à avoir imposé un couvre-feu à New York. Il voulait alors mettre fin aux émeutes qui avaient éclaté à Harlem après qu’un policier avait ouvert le feu et blessé un soldat afro-américain.

« Une chose positive »

Jusqu’au coucher du soleil, la journée de mardi s’est déroulée comme les précédentes à New York. En début d’après-midi, des milliers de personnes ont manifesté de façon pacifique à Foley Square, dans le sud de Manhattan. Ils ont notamment réclamé l’arrestation et l’inculpation des trois autres ex-policiers de Minneapolis impliqués dans le meurtre de George Floyd.

Parmi les manifestants, Ryan Blawski, vêtue d’un t-shirt sur le thème Black Lives Mater, était consciente que la tombée du jour pouvait contribuer à changer le climat des manifestations organisées à plusieurs endroits de la ville.

« La grande majorité des manifestants sont pacifiques », a déclaré cette chercheuse scientifique âgée de 29 ans.

Ce n’est qu’une poignée de gens qui participent à l’escalade. Et cela tend à survenir pendant la nuit.

Ryan Blawski

La New-Yorkaise n’était pas opposée à l’imposition d’un couvre-feu dans la ville qui ne dormait jamais avant l’arrivée de la pandémie qui a stoppé son métro de 1 h à 5 h du matin.

« Aucun de nous ne veut que ces pillages se poursuivent, a-t-elle dit. Ce n’est pas le but des manifestations. Donc, si cela peut stopper l’escalade des pillages et de la violence, c’est une chose positive. »

PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le couvre-feu nocturne instauré lundi a été prolongé jusqu’à dimanche, et son entrée en vigueur, avancée à 20 h.

Mais la raison n’est pas toujours au rendez-vous à New York ces jours-ci. Dans le Bronx, lundi soir, un automobiliste a pris la fuite après avoir écrasé un policier avec son véhicule. À Manhattan, mardi après-midi, un homme est entré dans une pharmacie dont la vitrine n’avait pas encore été placardée.

« Viens », a-t-il lancé à un ami qui hésitait à le suivre à l’intérieur. « C’est gratuit », a-t-il ajouté en s’emparant d’une partie de la marchandise laissée par les pillards de la veille.

En quittant la pharmacie, l’homme a déclaré au journaliste qui l’observait : « Je suis en train de manifester maintenant. »