Une semaine après la mort de George Floyd, la douleur reste vive. Pour la huitième journée de suite, les États-Unis ont été le théâtre de manifestations aux quatre coins du pays. Des milliers de personnes ont défié les couvre-feux imposés par le président Donald Trump, encore en mode confrontation.

À Houston, ville où George Floyd a grandi, un rassemblement monstre a réuni environ 60 000 personnes, mardi.

« Aujourd’hui, ce n’est pas à propos de la mairie, c’est à propos de la famille de George Floyd, nous voulons qu’ils sachent que George n’est pas mort en vain », a lancé le maire de la ville, Sylvester Turner, aux dizaines de milliers de personnes réunies.

George Floyd était papa d’une fillette de 6 ans, Gianna. Avec sa mère, Roxie Washington, elles se sont présentées devant les médias pour la première fois, mardi, à Minneapolis.

« Je voulais que tout le monde sache ce que ces policiers ont enlevé… », a commencé Mme Washington, incapable de retenir ses larmes.

À la fin de la journée, ils ont pu retourner chez eux auprès de leur famille. Gianna n’a plus de père. Il ne la verra jamais grandir, obtenir son diplôme. Il ne descendra jamais l’allée à ses côtés le jour de son mariage.

Roxie Washington, ex-compagne de George Floyd et mère de sa fille Gianna

« Je suis ici pour George parce que je veux que justice soit rendue. Je veux que justice soit rendue parce que c’était un homme bon », a déclaré son ex-conjointe en pleurs, sous les yeux de sa fillette, aujourd’hui orpheline de père.

Plusieurs membres de la famille de George Floyd ont participé au rassemblement de Houston, qui s’est dispersé dans le calme en fin d’après-midi. C’est aussi là qu’auront lieu les funérailles, le 9 juin.

La vague de colère historique contre le racisme, les brutalités policières et les inégalités sociales qui secoue les États-Unis depuis que cet homme noir a été tué par un policier blanc, le 25 mai, ne connaît pas de répit.

De Minneapolis à Washington en passant par New York, des milliers de personnes ont défié le couvre-feu, mardi soir, et continuaient de marcher dans les rues la nuit tombée.

La sénatrice démocrate Elizabeth Warren a elle-même bravé le couvre-feu avec son mari pour participer à une manifestation près de la Maison-Blanche, à Washington. À Minneapolis, épicentre de cette nouvelle flambée de colère, le calme régnait, mardi soir. Pacifiques, les manifestants étaient tolérés par les forces de l’ordre.

N’empêche, Donald Trump maintient sa menace d’envoyer l’armée dans les grandes villes pour maîtriser les manifestants. À preuve, mardi, 1600 soldats se préparaient à aller dans le District de Columbia.

La mairesse de Washington, Muriel Bowser, a protesté contre l’envoi des militaires « dans les rues américaines contre les Américains », une attaque reprise par de nombreux gouverneurs démocrates.

Par ailleurs, les efforts de réconciliation se poursuivent : le gouverneur de l’État du Minnesota, le démocrate Tim Walz, a annoncé qu’il y aurait une vaste enquête des droits de la personne sur les agissements de la police ces 10 dernières années et a déposé une plainte pour violation des droits civiques contre le service de police de Minneapolis.

Une Bible qui dérange

Encore mardi, Donald Trump a eu recours à un lieu de culte pour se faire prendre en photo. Accompagné de sa femme Melania Trump, il a visité le Sanctuaire national Saint-Jean-Paul II, dans le nord-est de la capitale fédérale, faisant bondir la hiérarchie catholique pour la deuxième journée de suite.

« Je trouve cela déconcertant et répréhensible qu’un site catholique permette d’être détourné et manipulé d’une façon si flagrante [et qui viole nos principes religieux] », a dénoncé dans un communiqué l’archevêque de Washington, Wilton Gregory.

Lundi soir, après son discours musclé annonçant le déploiement de « milliers de soldats lourdement armés » pour mettre fin aux débordements partout au pays, le président s’est dirigé vers l’église St. John’s, bâtiment emblématique à proximité de la Maison-Blanche appartenant à l’Église épiscopalienne.

Plusieurs centaines de personnes qui protestaient pacifiquement à l’extérieur de l’enceinte présidentielle ont été dispersées à coups de gaz lacrymogènes afin que le président se rende à l’église à pied pour s’y faire photographier, Bible à la main.

Un geste « traumatisant et profondément insultant », aux yeux de Mariann Budde, l’évêque épiscopalienne de Washington, qui estime que Trump a utilisé un objet sacré à des fins politiques. Des responsables épiscopaliens de Nouvelle-Angleterre ont aussi qualifié cet acte de « honteux et moralement répugnant » dans un communiqué.

Biden veut guérir les blessures raciales

De retour dans la mêlée, le candidat démocrate à la Maison-Blanche Joe Biden n’a pas mâché ses mots contre son adversaire, lors de sa première sortie publique depuis son confinement au Delaware.

Il a brandi une bible, mais j’aimerais bien qu’il l’ouvre, de temps à autre. Il pourrait probablement y apprendre quelque chose.

Joe Biden, lors d’un discours livré à Philadelphie, mardi

Joe Biden a accusé Donald Trump d’avoir « transformé ce pays en un champ de bataille miné par de vieilles rancunes et de nouvelles peurs ».

« Plus que jamais, les États-Unis ont besoin d’un discours d’unité et non de division, comme le fait Donald Trump depuis quelques jours », a déclaré le candidat à la présidentielle, qui a promis de tout faire pour guérir les blessures raciales.

« Sleepy Joe est en politique depuis 40 ans et il n’a rien fait », a réagi Donald Trump sur Twitter, par la suite. « La faiblesse ne vaincra jamais les anarchistes, les pillards et les voyous, et Joe a été politiquement faible toute sa vie », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, l’ancien président républicain George W. Bush a appelé l’Amérique à écouter les manifestants. « Cette tragédie, qui s’inscrit dans une longue série de tragédies similaires, soulève une question incontournable : comment mettre fin au racisme systémique dans notre société ? », s’interroge-t-il dans un communiqué en lien avec la mort de George Floyd. « Il est temps pour l’Amérique d’examiner nos échecs tragiques », écrit-il.

Tensions

Au moment d’écrire ces lignes, les tensions étaient encore vives dans plusieurs villes du pays, et la ligne restait mince avant que tout ne bascule vers la violence des derniers jours.

À New York, 40 personnes avaient été arrêtées, contrairement à 700, lundi. Par ailleurs, des manifestants en provenance de Brooklyn qui voulaient se rendre à Manhattan ont été encerclés par des policiers sur le pont de Manhattan. Les policiers les ont finalement laissé passer sans qu’il n’y ait d’affrontements, vers 23 h 30.

À Los Angeles, le maire a félicité les milliers de manifestants pour leur pacifisme. À Washington, vers 22 h 30, les manifestants qui avaient défié le couvre-feu commençaient à quitter le square Lafayette, escortés par des policiers en vélo. La soirée a été plus mouvementée à Atlanta, où des policiers ont utilisé des gaz irritants pour disperser des foules. À Milwaukee, au Wisconsin, des manifestants ont lancé des roches et du verre vers les policiers, qui ont répondu avec les gaz irritants.

Les journalistes malmenés

Les journalistes qui couvrent les violentes manifestations ne sont pas épargnés. Une séquence vidéo diffusée lundi soir montre des policiers antiémeutes asséner des coups de bouclier et de poing à une équipe de télévision australienne, qui montre pourtant clairement son micro et sa caméra. Cet incident s’est produit tout juste à l’extérieur de la Maison-Blanche. Plus de 180 incidents distincts impliquant des journalistes ont été répertoriés depuis une semaine par le U.S. Press Freedom Tracker, un projet en ligne commandité en partie par la Fondation pour la liberté de la presse aux États-Unis et le Comité pour la protection des journalistes. « Les journalistes ne sont pas les ennemis du peuple ; les journalistes servent le peuple », a déclaré mardi la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, elle-même une ex-journaliste, qui a reconnu être préoccupée par les récents évènements.

— avec l’Agence France-Presse et La Presse canadienne