Donald Trump avait prêté serment sur la Bible, puis avait causé la surprise en déclarant la fin du « carnage américain ».

La surprise, parce qu’en ce jour d’inauguration présidentielle, le 20 janvier 2017, ce carnage n’existait pas.

Pas encore.

Trois ans plus tard, le voilà dans les rues américaines. Voilà les villes qui brûlent, les émeutes.

Voilà les révoltés qui marchent côte à côte, malgré le virus qui rôde. Ils laissent exploser leur colère, au risque de faire exploser, bientôt, les urgences des hôpitaux.

La pandémie ne disparaîtra pas parce qu’on s’en préoccupe moins depuis une semaine. Au contraire.

La COVID-19 a déjà fauché plus de 100 000 vies. Cette crise sanitaire en a entraîné une autre, économique, qui a poussé 45 millions d’Américains au chômage. Pire que la Grande Dépression des années 1930.

Comme si tout cela n’était pas déjà assez catastrophique, il faut maintenant y ajouter une crise sociale.

Face au chaos, le président n’a rien trouvé de mieux que d’attiser la haine, encore. Donald Trump veut déployer l’armée pour nettoyer les rues de la racaille.

Il a brandi cette menace dans la roseraie de la Maison-Blanche, lundi. Son discours, ponctué d’explosions provenant de la rue, était celui d’un autocrate sur le qui-vive, prêt à sévir contre sa propre population.

PHOTO PATRICK SEMANSKY, ASSOCIATED PRESS

« Nous avons un grand pays », a dit Donald Trump lundi, Bible à la main, après que des manifestants eurent été dispersés à l'aide de gaz lacrymogènes pour permettre au président de se rendre à l’église épiscopale St. John’s.

Les manifestants réunis devant la Maison-Blanche ont ensuite été dispersés à l’aide de gaz lacrymogènes pour permettre à Donald Trump de se rendre à l’église épiscopale St. John’s.

Là, pendant que des manifestants dispersés pleuraient et vomissaient sur les trottoirs, le président des États-Unis a brandi une Bible : « Nous avons un grand pays. »

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Il fallait s’y attendre, à ce carnage.

Voilà à quoi devaient nécessairement mener trois années d’inepties d’un président inapte. Trump disait vouloir assécher le marais ; il n’a réussi qu’à produire, autour de lui, un océan de boue nauséabonde.

On ne peut évidemment pas le blâmer pour les tensions raciales, inscrites dans l’histoire américaine. Mais Donald Trump n’a rien fait pour apaiser ces tensions. Au contraire.

Un Afro-Américain est tué en pleine rue, en plein jour. Un policier sadique lui écrase la gorge de son genou. Il l’asphyxie sur l’asphalte. C’est une bévue policière de trop. Pardon, ai-je écrit bévue ? Je voulais dire lynchage.

C’est un lynchage de trop.

La nation est sous le choc. Elle a besoin d’un appel au calme. Et que fait Trump ? Il se réfugie au sous-sol de la Maison-Blanche pour tweeter rageusement. « Quand le pillage commence, les tirs commencent », écrit-il. Twitter prévient que le message est une « glorification de la violence », mais ne l’efface pas.

Jour après jour, le président enfonce un peu plus son pays dans la crise plutôt que de tenter de l’en sortir. Il échoue lamentablement à unifier son peuple. Et le pire, c’est qu’il le fait exprès.

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Rappelez-vous le début de la pandémie au Québec. C’était terrifiant, mais François Legault avait su trouver les mots qui rassurent. C’est ce qu’on attend des leaders en temps de crise.

Donald Trump n’en a jamais été capable. Ou plutôt, il n’en a jamais senti le besoin. Il gouverne pour sa base partisane : pourquoi donc aurait-il mis sur pause ses attaques envers la presse, les démocrates et tous ses ennemis réels ou imaginaires ? Pour se concentrer sur la lutte contre le coronavirus ? Laissez-moi rire.

Maintenant que la rue s’embrase, le président jette allègrement de l’huile sur le feu, trop heureux de détourner l’attention des Américains du tableau toujours plus sombre des morts de la COVID-19.

N’importe quel autre président aurait cherché des mots de réconfort. Il aurait reconnu l’horreur, la douleur, l’immense injustice que subit une partie de son peuple.

Pas Donald Trump.

Ce n’est pas de l’incompétence ni même de la pure insensibilité ; c’est une stratégie électorale.

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Il ne prend même pas la peine de le cacher.

Lundi, pendant que l’Amérique brûlait, il a tweeté un laconique : « 3 NOVEMBRE ».

Sa réélection. À travers le chaos, c’est tout ce qui le préoccupe. Pour ça, il applique la recette toxique qui a fait son succès en 2016 : agiter l’épouvantail de la peur. Surtout, diviser pour régner. En tout temps.

Donald Trump tente assurément de tirer profit du désordre actuel. Déjà, il se présente comme le « président de la loi et l’ordre », l’homme de la situation, qui n’hésitera pas à prendre les grands moyens pour nettoyer les rues chaotiques.

Ça pourrait bien marcher. En général, les émeutes jouent en faveur des politiciens conservateurs. Ç’a été le cas, par exemple, à la fin des années 1960 ; les Américains, apeurés par de violentes émeutes raciales, avaient alors jeté leur dévolu sur Richard Nixon.

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On se prend à rêver que c’est la fin de Trump.

Il ne pourra pas résister à la pandémie, à la récession et à la révolte de la rue. Toutes ces crises entremêlées vont l’emporter. Elles vont lui faire payer son incompétence, sa vulgarité, sa cruauté. Enfin.

Mais… combien de fois a-t-on prédit sa chute ?

Combien de scandales ont éclaté sans l’ébranler ?

Combien d’experts peuvent se vanter d’avoir prédit qu’il occuperait un jour la Maison-Blanche ? Le soir de son élection, Trump lui-même semblait tomber des nues.

Cette fois, tous les sondages montrent qu’il tire de l’arrière. Le dernier en date (Washington Post/ABC) indique une confortable avance pour son rival, Joe Biden, à 53 % contre 43 %.

Mais rien, absolument rien n’est acquis en ces temps de carnage américain.