Le président des États-Unis et le Parti républicain attaquent le vote par la poste – vu par plusieurs experts comme une façon sécuritaire de tenir des élections durant la pandémie

Le Parti républicain a déposé la semaine dernière une poursuite contre l’État de la Californie pour l’empêcher d’envoyer des bulletins de vote par la poste à chaque électeur en vue des élections de novembre. Le parti a entrepris des démarches légales semblables dans une douzaine d’autres États. Parallèlement, Donald Trump a décrit le vote par la poste comme un « système frauduleux » sur Twitter mardi, une affirmation qui n’est pas soutenue par les experts, et qui a valu aux tweets du président d’être identifiés comme potentiellement trompeurs par le réseau social. Trump et ses proches votent eux-mêmes par la poste depuis des années. La Presse a fait le point avec Jason Stanley, professeur au département de philosophie de l’Université Yale et auteur du livre How Fascism Works – The Politics of Us and Them.

Q. Est-ce que les actions de Donald Trump et du Parti républicain vous surprennent ?

R. Le but du Parti républicain est toujours le même : faire diminuer le nombre de citoyens qui peuvent voter. Trump lui-même l’a dit ouvertement au mois de mars : « Si vous permettez à tout le monde de voter, les républicains ne gagneront plus jamais d’élections. » Le Parti républicain n’essaie pas de se cacher : son but avoué est de détruire le fondement de notre démocratie, le système électoral, en particulier. Les juges conservateurs ont affaibli le Voting Rights Act, les républicains s’opposent constamment à toute mesure de sécurité liée au droit de vote, surtout au vote des personnes non blanches, qui n’appuient généralement pas leur parti. Les niveaux jusqu’où le parti est prêt à aller pour affaiblir la démocratie sont à couper le souffle. En même temps, il faut se rappeler que ce comportement n’est pas nouveau. Il fait partie de l’histoire des États-Unis. Il faut le voir dans ce contexte.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Jason Stanley, professeur au département de philosophie de l’Université Yale

Q. Auriez-vous dit la même chose par exemple à l’époque de la campagne électorale qui opposait Barack Obama à Mitt Romney ?

R. Je crois que c’est accentué cette année. Il y a une nouvelle audace. Les républicains sont beaucoup plus à l’aise de dire : « Plus il y a de votes, plus ça nous nuit. » Des officiels en Caroline du Nord viennent de le dire, de façon tout à fait décomplexée. Partout au pays, vous avez des législatures d’État où le Parti républicain a reçu une minorité de votes, mais occupe une majorité de sièges. C’est le cas au Michigan, au Wisconsin, en Caroline du Nord… N’oublions pas que le Parti républicain est un parti minoritaire aux États-Unis. Hillary Clinton a gagné le vote populaire avec des millions de voix d’avance sur Donald Trump en 2016.

On assiste à une nouvelle tendance, chez les républicains, qui consiste à délégitimer l’élection présidentielle de novembre… C’est dit de façon transparente : le vote met notre pouvoir en danger. Trump veut carrément affaiblir la démocratie.

Q. Quel impact la crise de la COVID-19 aura-t-elle sur l’élection présidentielle ?

R. Ce n’est pas clair. Je crois qu’il y a encore trop d’éléments inconnus. Quand j’étais au Brésil, à la mi-mars, on disait que la COVID-19 était un virus antifasciste, car il empêchait les partisans du président Bolsonaro de manifester. Plus personne ne donne ce surnom au virus aujourd’hui… La crise de la COVID-19 change constamment, alors qui sait ce que la trame narrative sera dans quelques mois ?

Ce qu’on voit jusqu’ici, c’est que Donald Trump a utilisé la crise pour faire avancer sa guerre contre l’immigration. Une des manifestations classiques de l’idéologie fasciste est de lier les immigrants aux maladies. Un récent article du New York Times a montré que Stephen Miller, conseiller politique à la Maison-Blanche, essaie depuis 2017 d’utiliser la santé publique comme prétexte pour bannir l’immigration. Quand le New York Times a demandé à une source combien de fois Miller avait fait ce lien dans des discussions, elle a répondu : « Trop de fois pour que je puisse les compter. » Donc ce lien est exploité massivement par l’administration. L’administration Trump vient d’interdire l’immigration légale, ce qui ne tient pas debout.

On voit aussi que les leaders populistes dans le monde, comme Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil et Modi en Inde, ont du mal à gérer la crise de la COVID-19. Beaucoup de critiques ont attribué cela à leur idéologie politique. Mais, d’après moi, nous sommes devant un problème d’incompétence. Je crois qu’ils sont simplement des leaders incompétents.

PHOTO NICHOLAS KAMM, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le 20 avril dernier, des gens armés ont pris part à une manifestation contre les mesures de confinement mises en place pour lutter contre le coronavirus en Pennsylvanie.

Q. On a vu des partisans armés de Trump manifester et intimider des élus dans différents États durant le confinement. Croyez-vous que cette violence ou cette intimidation seront présentes durant la campagne électorale et durant les élections de novembre ?

R. Je ne sais pas. Chose certaine, c’est ce que Trump semble vouloir. Il utilise Twitter pour inciter les gens à se rebeller contre son propre gouvernement… Il ne faut pas oublier que ces manifestations ne sont pas spontanées, qu’il y a toute une organisation derrière, le milliardaire et bailleur de fonds républicain Robert Mercer, notamment. Pour l’instant, on parle surtout de la menace de la violence, de l’idée que des gens armés vont se rebeller contre une défaite de Trump. Cela dit, je ne sais pas si ce mouvement est très vaste. L’imagerie de la violence et du fascisme sont présents : milices armées, organisations paramilitaires, etc. Cela dit, de quelle ampleur est la menace que ces gens représentent ? On ne le sait pas. Les gens ne se tirent pas dessus dans la rue à l’heure actuelle.