(NEW YORK) Vendredi matin, sur la plateforme de la station de métro de la 170e Rue, dans le Bronx. Laura Espegel attend nerveusement l’arrivée du train qui la conduira à son travail dans une pharmacie de Manhattan.

« J’ai peur », confie la New-Yorkaise de 30 ans à travers un masque, en tenant un café et un téléphone portable dans ses mains gantées de latex. « J’ai trois enfants à la maison. Je ne veux pas leur ramener le virus. »

Le train est en retard, comme c’est souvent le cas ces jours-ci dans le métro de New York, où le service a été réduit d’au moins 25 % depuis la mi-mars. Quand il arrivera, Laura Espegel aura à décider si elle y entrera ou non.

« S’il y a trop de monde dans les wagons, j’attendrai le prochain train. Cela ne me dérange pas d’être en retard », dit-elle.

Sa vigilance ne la quitte pas au travail.

« Quand j’arrive à la pharmacie, je change mon masque et mes gants, pour ne pas contaminer la clientèle. Et je n’arrête pas de tout désinfecter. Si je le pouvais, je resterais à la maison. Mais mon mari a perdu son travail dans un entrepôt. Nous avons besoin de ma paye plus que jamais. »

Laura Espegel vit à University Heights, un des quartiers qui retiennent l’attention à New York ces jours-ci, pour deux raisons précises. La première découle du fait que l’usage du métro y demeure très élevé, selon les données de la Metropolitan Transportation Authority (MTA), et ce, malgré la pandémie de coronavirus, dont New York est l’épicentre, avec 57 159 cas de contamination et 2935 morts confirmées vendredi après-midi.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Laura Espegel, dans le métro de New York

L’autre tient au nombre de cas confirmés de contamination dans le quartier, qui est parmi les plus élevés à New York, selon les données officielles du département de la Santé publique de la ville.

Impact disproportionné

« Je ne sais pas si l’usage du métro comme tel est lié au nombre élevé de cas de contamination, ou si c’est le fait que les gens ont besoin de prendre le métro pour se rendre quelque part où ils ont des contacts plus directs et prolongés avec les gens. C’est difficile à dire », dit à La Presse Denis Nash, professeur d’épidémiologie à l’Université de la ville de New York.

Mais une chose est sûre, selon l’expert : la pandémie frappe de façon disproportionnée les New-Yorkais qui vivent dans les quartiers les plus défavorisés du Bronx, de Queens et de Brooklyn, pour la plupart issus des communautés hispaniques, afro-américaines ou immigrantes. Selon les données de la ville, certains de ces quartiers comptaient jeudi jusqu’à 1124 cas de contamination, alors que des quartiers aisés comme Park Slope, à Brooklyn, ou SoHo, à Manhattan, en recensaient moins de 200.

Autre certitude : les mesures d’éloignement physique en vigueur à New York, comme dans nombre d’autres villes du monde, ont tendance à favoriser les plus riches au détriment des plus pauvres.

« Des interventions ou des stratégies comme le confinement à la maison ou l’éloignement physique finissent par introduire de nouvelles disparités, même si nous pensons que c’est la chose la plus salutaire pour la population », dit le Dr Nash. « Inévitablement, les gens qui sont les plus instruits ou les plus privilégiés profitent davantage de ces choses. Ils peuvent protéger leur santé et celle des autres en travaillant de la maison, alors que les moins instruits ou moins privilégiés perdent leur travail ou doivent risquer leur santé et celle de leurs proches en se rendant au travail ou sur les lieux mêmes de leur travail. »

Ces inégalités se manifestent de façon rapide et saisissante, mais elles se déploient aussi au ralenti à une échelle encore plus grande partout ailleurs dans la société en raison des inégalités de richesse et des failles de notre système de santé, entre autres.

Denis Nash, professeur d’épidémiologie à l’Université de la ville de New York

« Je ne touche à rien »

À New York, les nouvelles inégalités causées par le coronavirus ont déjà produit des images indélébiles. Jeudi soir, par exemple, une chaîne de télévision locale a relayé sur son compte Instagram une photo montrant un wagon du métro de New York où des usagers de couleur étaient entassés comme des sardines à 18 h.

La MTA a expliqué qu’elle faisait circuler autant de trains que le lui permettait un personnel réduit par le coronavirus, qui a contaminé certains de ses membres et en a forcé d’autres à se placer en quarantaine. Dans l’état actuel des choses, ses wagons demeurent un vecteur de contamination.

« Je n’ai pas de données indiquant que le métro était une source principale de transmission à New York ou dans d’autres villes, et d’autres études ont révélé que le domicile était une source importante de transmission », écrit Michael Donnelly, analyste de données, dans un message à La Presse. « Cependant, toutes les recherches démontrent que le risque de transmission augmente dans des métros bondés. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Gary Owusu, dans le métro de New York

Gary Owusu est l’un des habitants du quartier University Heights, dans le Bronx, qui doit composer avec cette réalité. Chaque jour, il prend le métro pour se rendre à son travail dans un hôtel du quartier Chelsea qui n’a pas encore fermé ses portes.

« Je fais attention. Je ne touche à rien ni à personne dans le métro », dit l’agent d’entretien, originaire du Ghana et âgé de 20 ans, en patientant sur la plateforme de la station de la 167e Rue, dans le Bronx. « Mais les trains se remplissent au fur et à mesure que nous approchons de Manhattan. Ça fait parfois peur. Nous sommes alors tous entassés. »

Au début de la semaine, Gary Owusu s’est porté au secours d’un voisin dans la soixantaine qui se plaignait de fièvre et de fatigue, deux symptômes de la COVID-19. « Nous avons appelé l’ambulance et il a été transporté à l’hôpital. Il se porte bien dans les circonstances », raconte-t-il.

Craint-il d’avoir été contaminé au contact de son voisin ?

« Je suis entré chez lui, mais je n’ai touché à rien », répond-il d’un ton se voulant convaincant.