(Derry, New Hampshire) Les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche de David Dorsky lorsqu’il parle de politique américaine sont les suivants : « Je ne sais pas. »

Le médecin de 66 ans dit pourtant lire religieusement le New York Times et le Washington Post, en plus de passer des heures à regarder les chaînes d’information en continu.

« Je peux jouer les pontes de la télévision. Ils disent que le sociopathe vaincra toujours le socialiste. Je ne sais pas », a-t-il déclaré avant le début d’un rassemblement d’Elizabeth Warren à Derry, petite ville située dans le sud du New Hampshire. « Je ne sais pas. »

Le doute est de mise. Il y a quatre ans, de nombreux électeurs, stratèges et commentateurs croyaient impossible l’élection de Donald Trump à la présidence. Or, malgré des idées jugées extrêmes, le promoteur immobilier de New York a battu la grande favorite, Hillary Clinton, transformant du même coup le parti de Ronald Reagan.

Bernie Sanders pourrait-il l’imiter en 2020 ?

Les démocrates pourraient avoir à se poser la question dès mardi soir, après l’annonce des résultats de la primaire du New Hampshire, deuxième rendez-vous électoral de la course à l’investiture démocrate après les caucus de l’Iowa. Si le sénateur du Vermont l’emporte, il se trouvera aussitôt en position de répéter au moins une des réussites électorales de Donald Trump : profiter de la division du vote parmi ses adversaires modérés pour devenir le candidat présidentiel d’un parti qui n’est même pas véritablement le sien.

« Bernie exerce un attrait énorme auprès des jeunes », a affirmé David Dorsky en parlant de la base du candidat, qui est aussi enthousiaste que celle de Donald Trump. « La jeunesse veut du changement. »

Mais est-ce suffisant ?

« Je ne sais pas », a répondu le médecin.

Une décision « insensée » ?

Une chose est certaine : si Bernie Sanders remporte l’investiture démocrate et la présidence, il aura remporté un pari des plus audacieux. Car il fait aujourd’hui campagne en défendant des idées impopulaires auprès d’une partie importante de l’électorat modéré qui n’est pas acquis à Donald Trump.

En voici quelques-unes : remplacement de l’assurance maladie privée dont bénéficient des dizaines de millions d’Américains par un régime géré par le gouvernement ; interdiction de la fracturation hydraulique ; octroi du droit de vote aux détenus ; décriminalisation de la frontière ; accès des immigrés clandestins à des soins santé gratuits ; élimination de la police de l’immigration.

Après avoir énuméré ces propositions dans un article récent, le journaliste du magazine New York Jonathan Chait a affirmé que les démocrates prendraient une décision « insensée » en choisissant Bernie Sanders comme candidat présidentiel. Quelques jours plus tard, James Carville, ancien stratège de Bill Clinton, a exprimé la même certitude lors d’une interview virale avec Vox.

Bernie Sanders n’est pas un démocrate. Il n’a jamais été un démocrate. Il est un idéologue. Et j’ai été clair là-dessus : si Bernie est le candidat, je voterai pour lui. Pas de doute. Je choisirai un idéologue fanatique plutôt qu’un criminel de carrière n’importe quand. Mais il n’est pas un démocrate.

James Carville, ancien stratège de Bill Clinton

Bernie Sanders répond à ce genre d’attaque en expliquant que ses propositions attireront aux urnes des millions d’Américains issus de la classe ouvrière ou des minorités raciales qui avaient perdu espoir en la politique. Son équipe a noté avec satisfaction que la participation des électeurs de 18 à 24 ans avait augmenté de 65 % lors des caucus de l’Iowa de lundi dernier par rapport à 2016. Le sénateur du Vermont aurait reçu un plus grand nombre de voix en provenance de cet électorat que ses trois principaux rivaux combinés.

« Seul un mouvement populaire nous permettra de vaincre Donald Trump », a déclaré sur MSNBC le directeur de campagne de Bernie Sanders, Faiz Shakir, la semaine dernière.

« Je ne suis pas un communiste »

Pour remporter son pari, Bernie Sanders devra également survivre à l’étiquette qu’il s’est lui-même donnée : socialiste démocrate.

Joe Biden a déjà lui-même évoqué l’effet négatif que cette étiquette pourrait avoir en 2020.

« Si le sénateur Sanders est le candidat du parti, chaque démocrate, de haut en bas du bulletin de vote, dans les États bleus, rouges ou mauves, dans les circonscriptions faciles ou plus compétitives, chaque démocrate devra porter l’étiquette que le sénateur Sanders a choisie pour se décrire », a-t-il dit lors d’un rassemblement au New Hampshire.

Bernie Sanders ne serait pas le premier candidat démocrate à être taxé de « socialisme » par les républicains. Mais il serait le premier à avoir passé sa lune de miel dans l’ex-URSS, où il a vanté certains aspects du système soviétique lors de rencontres publiques qui ont été filmées. Il serait le premier à avoir fait campagne pour un parti trotskiste et participé, en 1985, à une manifestation en faveur des révolutionnaires sandinistes du Nicaragua au cours de laquelle la foule scandait : « Ici, là-bas, partout, les Yankees vont mourir ».

Les démocrates n’ont jamais fouillé dans le passé de Bernie Sanders pour tenter de lui nuire. Les républicains ne s’en priveraient pas. Donald Trump a déjà donné une idée de ce qui attendrait le sénateur du Vermont en le traitant récemment de « communiste » lors d’une interview.

« Bien sûr, je ne suis pas un communiste », a déclaré Bernie Sanders dimanche matin à l’émission Fox News Sunday. « Mais peut-être ne connaît-il pas la différence. »

Le candidat socialiste démocrate semble tenir pour acquis que la plupart de ses concitoyens sauront faire la différence. C’est un autre pari audacieux. Si David Dorsky, le médecin rencontré à Derry, sait une chose, une seule chose, c’est bien celle-ci.

« L’Amérique est un pays de centre droit », a-t-il dit, tout en se définissant lui-même comme un socialiste démocrate.