(Washington) Les États-Unis ont écarté clairement mardi toute intention de quitter l’Irak, mais certains de leurs alliés occidentaux ont annoncé leur retrait militaire partiel en raison de la grave crise entre Washington et Téhéran, alimentant les craintes de voir les tensions actuelles saper la lutte antidjihadistes.

Quatre jours après la mort du puissant général iranien Qassem Soleimani dans une frappe américaine, et alors que ses funérailles en Iran tournaient à la tragédie avec plus de 50 morts dans une bousculade, Donald Trump et ses ministres ont tenté de dissiper l’impression de sauve-qui-peut provoqué la veille par un cafouillage.

Un retrait des troupes américaines « serait la pire chose qui puisse arriver à l’Irak », a déclaré le président des États-Unis, évoquant le danger que représente à ses yeux pour ce pays l’imposant voisin iranien. « À un moment donné, nous partirons », « mais ce moment n’est pas venu », a-t-il assuré.

Quasiment au même moment, son ministre de la Défense Mark Esper martelait, lors d’une conférence de presse, que la politique américaine n’avait « pas changée » : « Nous ne quittons pas l’Irak ».

PHOTO YURI GRIPAS, REUTERS

Mark Esper

L’administration Trump avait créé la confusion lundi en transmettant par erreur aux autorités irakiennes une lettre annonçant des préparatifs en vue du retrait de leurs soldats. Ce courrier faisait référence à un vote du Parlement irakien qui a exhorté dimanche son gouvernement à expulser les troupes étrangères d’Irak après la colère provoquée par l’élimination de Soleimani.

Signe d’un dialogue de sourds qui pourrait se prolonger, le premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi a confirmé mardi avoir reçu une lettre « signée » et « très claire » du commandement américain annonçant un retrait militaire.

Et pour ajouter au climat d’incertitude, la coalition internationale contre le groupe djihadiste État islamique (EI) affiche de premières fissures.

Foule immense à Kerman

Si la France et l’Italie ont fait savoir leur intention de rester en Irak, les Canadiens et les Allemands ont annoncé mardi le redéploiement d’une partie de leurs soldats vers la Jordanie et le Koweït. L’OTAN a décidé de retirer temporairement une partie de son personnel d’Irak.

Après le vrai-faux retrait total des troupes américaines de Syrie, annoncé par Donald Trump à deux reprises depuis un an avant qu’il ne fasse volte-face, il s’agit d’un nouveau coup porté à la lutte contre l’EI, alors que les experts ne cessent de mettre en garde contre une résurgence du groupe djihadiste malgré l’élimination de son « califat » territorial irako-syrien.

Malgré les appels au calme de la communauté internationale qui redoute une déflagration généralisée sur le sol irakien, une escalade régionale, voire une guerre ouverte entre Washington et Téhéran, la mort du général Soleimani alors qu’il se trouvait à Bagdad n’en finit donc pas de faire de vagues.

Pendant l’hommage à Kerman, sa ville natale du sud-est de l’Iran, une foule immense a réclamé vengeance aux cris de « Mort à l’Amérique », comme lorsque son cercueil a fait étape, dimanche et lundi, à Téhéran et dans d’autres localités iraniennes.

Mais une bousculade a fait plus de 50 morts et 200 blessés, selon des responsables locaux cités par des médias iraniens.

« Respecter la loi »

Le processus d’« expulsion des États-Unis de la région a commencé », a lancé à Kerman le général Hossein Salami, commandant en chef des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique, dont Qassem Soleimani dirigeait la Force Qods chargée des opérations extérieures.

« Nous allons nous venger », a-t-il de nouveau prévenu, promettant sur un ton énigmatique de mettre « le feu à ce qu’ils adorent » en cas de nouvelle frappe américaine.

Le Parlement iranien a adopté en urgence une loi classant toutes les forces armées américaines comme « terroristes » après la mort de l’architecte de la stratégie de l’Iran au Moyen-Orient, souvent considéré comme un héros dans son pays pour le combat contre l’EI.

Le chef du Pentagone a reconnu s’attendre à des « représailles » iraniennes, « par l’intermédiaire de leurs supplétifs […] ou de leurs propres mains ».

Mais alors qu’il avait personnellement menacé de frapper des sites culturels iraniens en cas de riposte militaire de Téhéran, Donald Trump a fait machine arrière. « Selon diverses lois, nous sommes censés être prudents avec leur héritage culturel », a-t-il dit, avant d’assurer : « j’aime respecter la loi ».

Le débat fait déjà rage, aux États-Unis et au-delà, sur la légalité même de la frappe pour éliminer Soleimani, qui plus est dans un pays tiers. Le président Trump « avait absolument les bases légales appropriées », a répondu son secrétaire d’État Mike Pompeo.

Dans l’espoir de parvenir à une « désescalade », plusieurs pays ont multiplié les efforts diplomatiques.

Les ministres français, allemand, italien et britannique des Affaires étrangères devaient se réunir mardi à Bruxelles pour évoquer cette crise.

Dans un entretien téléphonique, le président iranien Hassan Rohani a averti son homologue français que les intérêts américains au Moyen-Orient étaient désormais « en danger ». Emmanuel Macron a lui rappelé « l’attachement de la France à la souveraineté et la sécurité de l’Irak » qui « doivent être renforcées par la présence sur son sol de la coalition internationale » antidjihadistes.

La chancelière allemande Angela Merkel s’est entretenue de la « situation tendue » avec Donald Trump, tandis le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a réitéré ses appels à la retenue.

Dans ce contexte ultra tendu, le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif, qui devait assister jeudi à une réunion du Conseil de sécurité à l’ONU, à New York, a affirmé avoir été informé par le chef des Nations unies que les États-Unis lui avaient refusé son visa.