(New York) Les habitants de New York sont habitués à voir des rats dans les rues, mais ces derniers ne sont pas toujours petits et poilus. Parfois, ils sont gonflés à l’air et font huit mètres de haut.

Ces ballons géants sont l’une des armes favorites des syndicats pour protester lors de conflits.

«Ils sont utilisés pour montrer les injustices», explique le responsable local d’un syndicat d’ouvriers du bâtiment, Justice Favor, devant un rat gonflable menaçant au ventre recouvert de croûtes, affublé de dents de lapin et de deux yeux rouges.

Ce matin-là, «Ratacroûte», comme il est surnommé, s’est installé devant le siège d’un promoteur immobilier accusé de payer ses ouvriers moins que le salaire négocié par le syndicat.

«Les gens s’arrêtent et demandent ce qui se passe. C’est un super outil pour que le public prenne conscience» d’un conflit salarial, souligne M. Favor, 37 ans.

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Les responsables syndicaux assurent que «Ratacroûte» et les autres ballons ne disparaîtront pas de New York.

L’idée de ce rat gonflable est venue de Chicago, où il est apparu en 1990, avant d’être adopté par les syndicats new-yorkais 10 ans plus tard. Désormais célèbre, il a son propre compte Twitter et a même fait de la télé, dans un épisode de la série The Sopranos.

Pour les passants qui ignorent la signification du rat géant, les syndicalistes distribuent des tracts expliquant leur action.

«D’abord j’ai pensé que c’était à cause des rats dans le métro, puis j’ai lu le prospectus», dit Zarinah Ali, une coiffeuse de 38 ans.

Chats riches et obèses

Les ballons sont fabriqués par Big Sky Balloons, une société basée dans l’Illinois, qui revendique fièrement sur son site avoir créé «Ratacroûte».

Les syndicats de New York en possèdent des dizaines, qui peuvent coûter plusieurs milliers de dollars et font entre deux et huit mètres de haut.

Il y a également un chat obèse fumant un cigare avec un sac rempli de dollars à la main, un cochon en veste queue-de-pie et chapeau haut-de-forme, et une coquerelle.

«Si on les mettait tous ensemble, ça ressemblerait à la parade de Macy’s», plaisante le dirigeant du syndicat, Mike Hellstrom, en référence au défilé annuel du grand magasin pour Thanksgiving à New York.

Pour M. Hellstrom, à qui l’on attribue l’idée d’avoir fait venir «Ratacroûte» à New York, les ballons ont un air affreux afin de donner «une image réelle de ce à quoi ressemble l’exploitation».

Les entreprises sont souvent irritées par ces ballons et l’un d’eux a même été dégonflé à coups d’aiguilles.

Mais ils sont depuis quelques temps la cible d’attaques beaucoup plus sérieuses devant les tribunaux, où des arguments sur le droit de grève et la liberté d’expression sont échangés.

Bataille judiciaire

En 2017, le président Trump a nommé Peter Robb comme conseiller judiciaire du National Labor Relations Board (NLRB), l’agence fédérale censée s’assurer que le droit du travail est bien appliqué.  

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Un ballon géant à l'effigie d'un Donald Trump en forme de rat a été déployé devant la Trump Tower, à Manhattan, en août 2017.

Ses services ont depuis déposé plusieurs plaintes, considérant les ballons géants comme des piquets de grève illégaux.

Cette année, le NLRB a demandé à un tribunal d’empêcher un syndicat de déployer «Ratacroûte» devant un supermarché du quartier de Staten Island, à New York.

Mais le tribunal s’est rangé aux arguments du syndicat, confirmant des décisions précédentes selon lesquelles le rat est protégé par le premier amendement de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression et de manifestation pacifique.

La bataille judiciaire continue, et la lutte est loin d’être terminée.

L’agence fédérale «tente par tous les moyens de faire condamner ce symbole, qui deviendrait purement et simplement le premier symbole illégal dans l’histoire de la jurisprudence américaine», affirme l’avocat du syndicat, Tamir Rosenblum. Le NLRB refuse pour sa part de commenter.

Pour Joshua Freeman, spécialiste de l’histoire des syndicats à la City University de New York, l’agence fédérale est devenue de plus en plus politisée et s’inquiète davantage de protéger les employeurs que les employés.

Les dirigeants de l’agence se disent, «notre homme est à la Maison-Blanche, allons aussi loin que possible», déclare-t-il.

Mais les responsables syndicaux assurent que «Ratacroûte» et les autres ballons ne disparaîtront pas de New York.

«Ils peuvent toujours nous attaquer, ils rencontreront une résistance totale, je suis prêt à me faire arrêter pour ce rat», assure Mike Hellstrom.