(NEW YORK) « Vous n’avez même pas à être inculpé d’un crime pour perdre votre job dans cette république constitutionnelle s’il est déterminé que votre conduite en tant que responsable public dépasse les limites de votre rôle. La destitution n’est pas un châtiment. La destitution est la purification de la [présidence]. La destitution est la restauration de l’honneur et de l’intégrité de la fonction. »

De savants juristes pourraient contester cette façon de définir la procédure de destitution. Mais en réécoutant le discours que prononçait Lindsey Graham le 16 janvier 1999 dans l’enceinte du Sénat américain, ils ne pourraient douter de sa passion ou de son éloquence. Âgé de 43 ans, le politicien de la Caroline du Sud s’exprimait alors en tant que « procureur » dans le procès en destitution de Bill Clinton.

Vingt et un ans plus tard, Lindsey Graham n’est plus du tout le même homme. Élu pour la première fois au Sénat en 2002 après quatre mandats à la Chambre des représentants, il passe pour l’un des plus grands hypocrites de la politique américaine. À quelques exceptions près, ce défenseur opiniâtre de Donald Trump dit et fait le contraire de ce qui l’a distingué pendant des années, comme si sa conscience était éteinte ou compromise. Son cas est symptomatique.

Pour mémoire : au côté de son « grand frère » John McCain, Lindsey Graham a longtemps cultivé une rare indépendance à Washington. Celle-ci s’est notamment traduite par des votes en faveur de la nomination de juges progressistes à la Cour suprême (Elena Kagan et Sonia Sotomayor), une reconnaissance de l’importance de la lutte contre les changements climatiques et un effort pour réformer le système d’immigration.

Sa conviction que le Parti républicain devait s’adapter aux changements démographiques des États-Unis a d’ailleurs contribué à ses critiques virulentes de Donald Trump en 2016. Alors qu’il luttait contre le promoteur immobilier pour l’investiture républicaine, il l’a accusé de racisme, de xénophobie et d’intolérance religieuse.

« Je pense qu’il est dingue. Je pense qu’il est fou. Je pense qu’il est inapte à la présidence », a-t-il dit au sujet du futur président le 17 février 2016.

Un juré partial

Près de quatre ans plus tard, Lindsey Graham semble avoir oublié ses critiques à l’endroit de Donald Trump. Il semble également avoir rayé de sa mémoire son appel aux sénateurs à la veille du procès en destitution de Bill Clinton. À l’époque, il les exhortait à rester impartiaux et à faire preuve d’ouverture d’esprit. Aujourd’hui, il tient le discours opposé.

« J’essaie d’envoyer un message très clair que j’ai arrêté ma décision. Je ne prétends pas être un juré impartial », a-t-il déclaré avant même la mise en accusation de Donald Trump par la Chambre pour abus de pouvoir et entrave au travail du Congrès.

Lindsey Graham n’est certes pas un cas unique. Lors de la course à l’investiture républicaine de 2016, les sénateurs Marco Rubio, Ted Cruz et Rand Paul ont traité Donald Trump de tous les noms, y compris « menteur pathologique », « escroc » et « Narcisse délirant ». Or, à moins d’une surprise monumentale, ils suivront l’exemple de leur collègue de la Caroline du Sud et voteront en faveur de l’acquittement du président à l’issue du procès en destitution qui doit se dérouler au début de 2020.

Mais peut-on imaginer qu’ils agiraient de la même façon si Barack Obama avait été accusé d’avoir sollicité l’aide d’un gouvernement étranger pour nuire à un rival politique ? Peut-on imaginer qu’ils auraient fermé les yeux sur le gel d’une aide militaire de 391 millions à un pays vulnérable pour obtenir un avantage personnel ?

Il y a trois jours, l’ancien sénateur républicain d’Arizona Jeff Flake a répondu à ces questions dans une lettre ouverte à ses anciens collègues, les priant de « placer le pays avant le parti ».

« Vous auriez compris avec clarté la menace que cela représente, et vous sauriez exactement quoi faire », a écrit Flake dans cette missive publiée par le Washington Post.

Fin septembre, ce même Flake estimait à « au moins 35 » le nombre de sénateurs républicains qui voteraient en faveur de la destitution de Donald Trump si le vote était privé.

Marié à sa fonction

Mais le vote sera public, et un certain nombre de sénateurs voteront assurément contre leur conscience. Pourquoi ? Le cas de Lindsey Graham est instructif à cet égard.

Certains critiques ont cherché dans la vie privée du sénateur la raison de ses volte-face spectaculaires. Âgé de 64 ans, l’homme est célibataire et n’a pas d’enfant. Des rumeurs circulent sur son homosexualité présumée et le chantage dont il pourrait faire l’objet. Or, tout en affirmant avoir eu des relations avec des femmes, l’intéressé se présente essentiellement comme un homme marié à sa fonction.

Si tel est le cas, il est facile de comprendre pourquoi il tient tant à son siège de sénateur. Et il est tout aussi facile de comprendre pourquoi un scrutin tenu en Caroline du Sud à l’été 2018 l’a convaincu de soigner sa droite.

Choisi pour remplacer Nikki Haley au poste de gouverneur de cet État, Henry McMaster a failli perdre une primaire républicaine contre John Warren, homme d’affaires dans le moule de Donald Trump. Peu après cette défaite honorable, Warren a annoncé qu’il songeait à défier Lindsey Graham en 2020.

« Je pense que nous vivons dans un grand État conservateur, et nous méritons deux sénateurs conservateurs », a déclaré Warren sur Fox News en juillet 2018, laissant entendre que Lindsey Graham était trop modéré.

Les volte-face de Lindsey Graham pourraient donc s’expliquer par cette crainte d’être dépeint comme un mauvais conservateur ou comme un républicain déloyal à Donald Trump. Une crainte partagée, cela s’entend, par un grand nombre de républicains du Congrès.

Or, si le président demeure archipopulaire auprès de la base républicaine de la Caroline du Sud, Lindsey Graham l’est beaucoup moins dans l’ensemble de l’électorat de cet État. Un sondage récent indiquait qu’il menait par seulement deux points de pourcentage sur un possible rival démocrate, Jaime Harrison.

Comme quoi Lindsey Graham devrait peut-être aussi soigner sa gauche.