Les pères fondateurs des États-Unis ne pouvaient prévoir qu’une ancienne vedette de téléréalité serait un jour élue à la présidence. Mais en inscrivant la procédure de destitution dans la Constitution américaine, ils cherchaient à protéger leur pays contre un chef de l’exécutif qui « placerait ses intérêts personnels ou politiques au-dessus de ceux de la nation ».

Un tel président occupe aujourd’hui la Maison-Blanche, selon un rapport rendu public mardi par une commission du Congrès après plus de deux mois de dépositions à huis clos et d’auditions publiques sur l’affaire ukrainienne.

« L’enquête en destitution révèle que le président Trump, personnellement et par l’entremise d’agents au sein et en dehors du gouvernement, a sollicité l’ingérence d’un pays étranger, l’Ukraine, pour favoriser sa campagne de réélection », peut-on lire dans le document de 300 pages rédigé par la commission du Renseignement de la Chambre des représentants.

Le président a placé ses intérêts personnels et politiques au-dessus des intérêts nationaux, cherché à miner l’intégrité du processus électoral américain et mis en danger la sécurité nationale.

Extrait du rapport

Le rapport ne recommande pas d’articles de mise en accusation contre Donald Trump. La rédaction éventuelle de ces articles incombera à la commission judiciaire de la Chambre, qui se servira du document comme feuille de route.

La commission du Renseignement a adopté le rapport mardi soir, par 13 voix contre 9, avant de l’acheminer officiellement à la commission judiciaire de la Chambre.

Le président y est accusé d’avoir abusé des pouvoirs de sa fonction en conditionnant « deux actes officiels » — une aide militaire de 391 millions US à l’Ukraine et une invitation à la Maison-Blanche au président de ce pays — à l’annonce par l’Ukraine d’enquêtes favorables à sa campagne. L’une devait porter sur Joe Biden, possible candidat démocrate à la présidence, l’autre sur une théorie discréditée selon laquelle l’Ukraine et non la Russie a interféré dans l’élection présidentielle de 2016.

Le chef de la Maison-Blanche y est en outre accusé d’avoir fait entrave à l’enquête en destitution en empêchant des membres de son administration de comparaître devant le Congrès et en intimidant des témoins.

« Frustrations » et « divagations »

Autant d’accusations que la Maison-Blanche a rejetées sommairement, n’y voyant que le reflet de « frustrations » démocrates.

« Le rapport du président [de la commission du Renseignement de la Chambre Adam] Schiff se lit comme les divagations d’un blogueur de sous-sol qui s’évertue à prouver quelque chose quand il n’y a clairement rien », a déclaré la porte-parole de la présidence, Stephanie Grisham.

Donald Trump, de son côté, n’a pas attendu la publication du rapport pour le dénoncer. De Londres, où il se trouve pour participer au sommet de l’OTAN, il a accusé les démocrates de tenter de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2016 avec une enquête en destitution qu’il a qualifiée de « canular ».

« C’est fait seulement par opportunisme politique. Ils vont voir s’ils peuvent faire quelque chose pour 2020, car autrement, ils perdront », a-t-il déclaré avant de traiter Adam Schiff d’« homme complètement malade ».

« Et il ment », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse.

PHOTO SUSAN WALSH, ASSOCIATED PRESS

L’élu démocrate Adam Schiff, qui préside la commission du Renseignement, en conférence de presse mardi 

Adam Schiff a évité les attaques personnelles à l’endroit de Donald Trump en parlant des conclusions du rapport de sa commission.

« Qu’est-ce que cela signifie pour les Américains ? », a-t-il demandé lors d’un point de presse à Washington. « Pourquoi devraient-ils se préoccuper de ce que le président a fait vis-à-vis de l’Ukraine ? Premièrement, il ne s’agit pas de l’Ukraine. Il s’agit de notre démocratie. Il s’agit de notre sécurité nationale. Il s’agit de déterminer si les gens ont le droit de s’attendre à ce que le président des États-Unis agisse dans leur intérêt, avec à l’esprit leur sécurité, et non pas pour une quelconque raison personnelle ou politique. »

Selon le numéro deux des démocrates à la Chambre, Sten Hoyer, le rapport de la commission du Renseignement « devrait alarmer tous les Américains ».

« La cause contre le président est claire, a-t-il dit. Il en est de même pour la responsabilité de la Chambre en vertu de la Constitution. »

Les appels de Giuliani

Le rapport sur l’affaire ukrainienne ne contient pas de nouvelles révélations majeures. On y apprend cependant que les démocrates ont obtenu des relevés téléphoniques de proches de Donald Trump, dont son avocat personnel Rudolph Giuliani. Celui-ci était notamment en contact avec le numéro un des républicains de la commission du Renseignement de la Chambre, Devin Nunes, au plus fort de sa campagne pour dénigrer l’ancienne ambassadrice des États-Unis en Ukraine Marie Yovanovitch et pour forcer l’Ukraine à annoncer les enquêtes réclamées par le président.

À la même époque, il multipliait également les appels à son partenaire d’affaires Lev Parnas, aujourd’hui inculpé pour violations des lois sur le financement électoral, à Kash Patel, ancien conseiller de Devin Nunes aujourd’hui employé à la Maison-Blanche, ainsi qu’à des numéros anonymes de la Maison-Blanche et de son bureau du budget.

L’ancien maire de New York a appelé la Maison-Blanche pas moins de sept fois le jour où l’ambassadrice Yovanovitch, réputée pour sa lutte contre la corruption, a été sommée de rentrer à Washington. La nature de ces appels n’a pas été dévoilée.

Après avoir reçu le rapport de la commission du Renseignement, la commission judiciaire de la Chambre tiendra dès mercredi une première audition publique dans le cadre de l’enquête en destitution. Elle a convoqué quatre professeurs d’université qui doivent informer le public américain sur les tenants et aboutissants de la procédure de destitution.

La commission entendra également au cours des prochains jours l’avocat de la commission du Renseignement, Daniel Goldman, qui doit présenter les conclusions du rapport sur l’enquête ukrainienne. Et elle lancera par la suite un débat sur les articles de mise en accusation susceptibles d’être rédigés contre Donald Trump. Il n’est pas impossible qu’un vote sur ces articles soit tenu à la Chambre avant le congé de Noël.

Si tel était le cas, le procès devant le Sénat, deuxième et dernière étape de la procédure de destitution, aurait lieu au début de l’année prochaine.