(Washington) Près de 400 juristes américaines ont décidé, au risque d’encourir l’opprobre d’une partie de leurs concitoyens, de révéler publiquement avoir eu recours à un avortement, en se joignant à une procédure en cours devant la Cour suprême des États-Unis.

«Je veux que la Cour sache comment un accès légal et dans de bonnes conditions sanitaires à l’avortement a rendu ma carrière possible et changé ma vie», écrit l’une des 368 signataires dans un argumentaire transmis lundi aux neuf sages de la Cour suprême.

La plus haute juridiction américaine, qui a légalisé en 1973 le droit des femmes à interrompre une grossesse, a accepté récemment d’examiner une loi de Louisiane accusée de restreindre l’accès à l’avortement. Le dossier a valeur de test pour la Cour, profondément remaniée depuis l’élection de Donald Trump.

En amont de l’audience, prévue le 4 mars, des juges, procureures, avocates ou universitaires ont expliqué à la Cour avoir eu recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) quand elles étaient mineures, étudiantes, en début de carrière, dans une relation toxique, ou encore pour des raisons médicales.

Leurs histoires sont racontées anonymement dans un long document juridique, qui liste en annexe le nom et le poste des signataires, dont une ancienne juge de la Cour suprême de New York ou des professeures d’université prestigieuses.

Ces expertes en droit «ont le sentiment d’avoir le pouvoir, les moyens et même l’obligation de s’élever avec leurs noms et leurs histoires pour celles qui ne peuvent toujours pas le faire», même si, pour certaines, cette démarche a «un immense coût personnel et professionnel», selon ce document.  

L’avortement reste un sujet très clivant aux États-Unis. Selon un sondage du Centre de recherches Pew datant de 2018, 58% des Américains estiment que l’avortement devrait être légal, et 37 % souhaitent son interdiction.

«C’est absolument terrifiant de s’identifier publiquement sur un sujet aussi personnel et qui peut souvent être source d’opprobre», souligne l’une des juristes.

«Je crains des représailles de la part de mes collègues et, plus largement dans ma communauté de Caroline du Sud, où de nombreuses personnes sont très religieuses et opposées à l’avortement», écrit une autre. «Je soupçonne qu’un grand nombre vont me considérer différemment - moralement inférieure - en apprenant que j’ai eu recours à l’IVG.»

Par crainte des conséquences, une responsable au sein du département de la Justice et une étudiante dont la carrière reste à construire se sont jointes à la procédure anonymement «et représentent tous les autres courants, passés ou futurs, de la profession, pour qui s’exposer seraient trop dangereux».