(NEW YORK) La vie de Rudy Giuliani était aussi dramatique que les opéras dont il se délectait.

Le 27 avril 2000, le maire de New York annonce qu’il a un cancer de la prostate. Il affirme que la maladie ne l’empêchera pas de poursuivre sa campagne palpitante contre la première dame des États-Unis, Hillary Clinton, pour un siège au Sénat des États-Unis.

Le 3 mai, l’élu républicain avoue avoir noué une relation extraconjugale avec une « très bonne amie », Judith Nathan. Sept jours plus tard, il révèle aux journalistes qu’il a l’intention de se séparer de sa deuxième femme, Donna Hanover, avant même de l’en informer.

Journaliste à la télévision et mère des deux enfants de Giuliani, Hanover réplique le jour même en accusant son mari de l’avoir trompée, trois ans plus tôt, avec son ancienne directrice des communications.

Le 20 mai, le candidat adultère annonce qu’il renonce à sa candidature pour l’ancien siège de Robert Kennedy. Il dit vouloir consacrer son temps et son énergie à se remettre en santé et à devenir un meilleur homme.

L’un de ses anciens rédacteurs de discours ne croit pas un mot de cette fable. « La campagne du maire a pris fin quand Donna Hanover a parlé », confie-t-il au New York Times.

Près de 20 ans plus tard, de nombreux Américains se demandent comment l’ancien maire de New York peut aujourd’hui se retrouver mêlé aux affaires douteuses, voire illégales, de Donald Trump, après avoir symbolisé à leurs yeux le triomphe de la loi sur la criminalité, et la résilience d’une ville emblématique face aux pires attentats terroristes de l’histoire des États-Unis.

La vérité est qu’il n’y a pas vraiment de différence entre le président et lui. Et les épisodes de téléréalité du printemps 2000 n’en sont qu’un exemple.

Vanité et ambition

« Un petit homme en quête d’un balcon. »

Le regretté Jimmy Breslin, légendaire chroniqueur de la vie new-yorkaise, est crédité par certains de la meilleure – et de la plus succincte – description de Rudy Giuliani. Par ces quelques mots écrits bien avant le 11 septembre 2001, il voulait comparer le maire de New York, dont il critiquait la vanité et les tendances dictatoriales, à Benito Mussolini, fondateur du fascisme, qui aimait haranguer les foules italiennes du haut d’un balcon.

Personne ne peut nier que la soif de publicité a joué un rôle clé dans son ascension politique.

Dans les années 80, à l’époque où il était procureur fédéral de New York, Rudolph Giuliani a lui-même participé à des descentes policières chez les trafiquants de drogue ou envoyé des policiers passer les menottes à des prédateurs de Wall Street en pleine salle des marchés. Tout cela, évidemment, après avoir alerté caméramans et photographes.

Défait par David Dinkins en 1989 à l’issue de sa première campagne pour la mairie de New York, Rudy – il était déjà connu par son seul prénom – a pris sa revanche contre le premier maire noir de New York en 1993, accédant au pouvoir après avoir promis de faire la guerre aux « squeegee men » et autres nuisances urbaines.

Or, même ceux qui sont prêts à lui reconnaître un rôle majeur dans la « renaissance » de New York admettent ses failles personnelles. Failles qu’il a notamment démontrées en congédiant son chef de police, William Bratton, en 1996. Il n’avait pas accepté que ce dernier collabore sans sa permission à un reportage qui lui avait valu de devenir LE visage de la lutte contre la criminalité à la une de l’hebdomadaire Time.

Mais il y a pire : certains critiques de Rudy Giuliani estiment qu’il n’a fait que surfer sur des phénomènes nationaux – boom de l’économie et chute de la criminalité – pour se bâtir une légende dont l’origine même était fausse.

Histoires de mafia

Tout au long de sa carrière politique, Rudy Giuliani a répété jusqu’à plus soif comment son père Harold lui avait légué une solide éthique du travail. Il revenait souvent sur le sujet en tentant de justifier ses coupes dans les programmes d’aide sociale.

Or, comme l’a révélé Wayne Barrett, autre journaliste regretté, dans une biographie publiée en 2000, Harold Giuliani a passé un an et quatre mois derrière les barreaux dans les années 30 pour le braquage d’un laitier. Il a aussi cassé quelques jambes pour le compte de son frère, qui était à la fois tenancier de bar et usurier à Brooklyn.

Un long mois après la publication des révélations de Barrett, Giuliani a fini par reconnaître qu’il était au courant de certaines activités criminelles de son père. Et il a affirmé que les « erreurs » de ce dernier avaient influencé son choix de carrière. 

Chose certaine, dans son rôle de procureur fédéral, Rudy a mené la vie dure non seulement aux prédateurs de Wall Street et aux trafiquants de drogue, mais également aux membres de la mafia et aux politiciens corrompus.

Cependant, il a semblé montrer une certaine indulgence à l’égard de Donald Trump. En 1988, il a confié à son homme de confiance, Tony Lombardi, le soin d’enquêter sur le rôle du promoteur immobilier dans la vente de deux condos de la Trump Tower à Robert Hopkins, chef d’un réseau illégal de paris lié à la mafia. Un informateur était prêt à témoigner que Donald Trump était présent lorsque Hopkins est arrivé avec un dépôt de 200 000 $ dans une valise. Il était prêt à porter un micro caché pour faire avancer l’enquête sur ce blanchiment d’argent présumé.

PHOTO DON EMMERT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Rudy Giuliani et Donald Trump, en 2016

Mais Lombardi a préféré s’adresser directement à Trump, l’interrogeant à deux reprises pendant une heure, comme il l’a lui-même raconté au journaliste Wayne Barrett. Se disant satisfait des réponses du Donald et de ses avocats, il a mis fin à l’enquête sans lui attribuer de numéro officiel. Résultat : la Commission des casinos du New Jersey n’a jamais su que Trump avait fait l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent.

Quelques semaines après la fin de cette enquête, Donald Trump a déclaré au New York Post qu’il pourrait amasser « 2 millions de dollars en une demi-heure » si Rudy Giuliani annonçait sa candidature à la mairie. Peu après, il coprésidait la première activité de collecte de fonds du candidat.

C’était le début d’un partenariat politique qui place aujourd’hui Rudy Giuliani, soupçonné de lobbyisme illégal, dans le viseur de la justice new-yorkaise. Seul un opéra pourrait rendre justice à cette histoire.