(New York) Il a comparé les données raciales récoltées par les universités américaines auprès de leurs étudiants potentiels aux lois de Nuremberg adoptées par le Reichstag à l’instigation d’Adolf Hitler.

Il a répété la fausse anecdote selon laquelle le général américain John Pershing a fait fusiller des dizaines de « terroristes musulmans » avec des balles trempées dans du sang de porc.

Il a donné l’impression de faire la promotion du nationalisme ethnique dans un texte publié par une revue juridique en 2014.

Et il pourrait devenir, à 40 ans, le 151e juge fédéral nommé par Donald Trump et confirmé à vie par le Sénat américain.

Mercredi dernier, Steven Menashi, conseiller juridique adjoint de la Maison-Blanche, a dit regretter certains de ses écrits de jeunesse, qui témoignent d’un esprit provocateur ou extrémiste. Et il a défendu les plus récents, rejetant les interprétations les plus troublantes faites par des groupes progressistes.

Le même jour, le Sénat à majorité républicaine a confirmé six nouveaux juges fédéraux, dont le 150e depuis le début du mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Les alliés conservateurs du président ont célébré cet « événement marquant », pour reprendre les mots de Lindsey Graham, président de la commission judiciaire du Sénat.

Mais les médias ont largement ignoré ce jalon qui pourrait pourtant contribuer à transformer chaque aspect de la société américaine, de l’environnement à l’immigration en passant par la santé, l’avortement et le droit de vote.

« En moins de trois ans, Trump a remplacé environ le sixième de la magistrature fédérale, qui compte environ 859 juges. C’est une réalisation vraiment remarquable », a déclaré à La Presse Francis Buckley, professeur de droit à l’Université George Mason, en Virginie.

« Et c’est une réalisation d’autant plus importante que la politique américaine, dans une large mesure, a été judiciarisée. »

Peur et colère

Francis Buckley enseigne dans une faculté de droit qui porte le nom d’Antonin Scalia, ancien pilier du camp conservateur à la Cour suprême. Même s’il n’est pas un grand partisan de cette judiciarisation de la politique, il ne partage pas la colère ou la peur de nombreux juristes progressistes face aux confirmations en rafale des juges nommés par Donald Trump.

Autrement dit, il dort mieux que Lena Zwarensteyn ces jours-ci.

« Le fait que le président Trump, avec l’aide du chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, ait réussi à faire confirmer à la sauvette 150 juges fédéraux signifie qu’ils sont en train d’imposer par la voie judiciaire ce qu’ils ne peuvent pas accomplir par la voie législative », a dit à La Presse cette juriste progressiste, qui travaille pour la Leadership Conference. 

En transformant près de 20 % de notre magistrature fédérale, ils noyautent les tribunaux avec des idéologues qui, croient-ils, nous dépouillerons de nos droits civiques et de la personne pendant des décennies.

Lena Zwarensteyn, juriste à la Leadership Confernece

Lena Zwarensteyn dirige une campagne pour protéger et défendre l’indépendance et l’équité de la magistrature fédérale. Mitch McConnell est son pire ennemi. Pendant les deux dernières années de Barack Obama à la Maison-Blanche, le sénateur du Kentucky a refusé de confirmer les candidats du président démocrate pour combler les sièges de juges fédéraux laissés vacants.

Le plus important de ces sièges était évidemment celui d’Antonin Scalia, qui a fini par être pourvu par le juge conservateur Neil Gorsuch, au début de la présidence de Donald Trump. Le sénateur McConnell a répété le même scénario dans les instances inférieures.

« C’est quelque chose que Mitch McConnell a accompli en bafouant les normes et les procédures, au point où les sénateurs qui représentent des États où se trouvent des sièges à combler n’ont plus un mot à dire dans la nomination des juges fédéraux », a déploré Lena Zwarensteyn.

La question qui tue

Le cas de Steven Menashi est un bel exemple de cette approche. Nommé lundi dernier à la Cour d’appel du 2e Circuit, le candidat a comparu deux jours plus tard devant la commission judiciaire du Sénat. Normalement, il s’écoule des semaines entre les deux étapes, histoire de donner le temps aux sénateurs d’examiner les candidatures.

Steven Menashi est également représentatif du type de juges fédéraux choisis par Donald Trump. Il est un homme blanc – 70 % des magistrats confirmés depuis 2017 l’étaient, au début d’août –, il est très conservateur et relativement jeune.

Cela dit, Menashi a évité d’ajouter à la peur des groupes progressistes sur une question qui tue. Celle-ci porte sur l’arrêt de la Cour suprême Brown v. Board of Education du 17 mai 1954. Cette décision mettait fin à la ségrégation raciale dans les écoles publiques des États-Unis.

Or, de nombreux juges nommés par Donald Trump ont refusé de dire si cette cause historique avait été décidée de façon correcte lors de leur audition devant la commission judiciaire du Sénat. Leur réserve a sonné l’alarme chez les progressistes.

« C’est déconcertant, a commenté Lena Zwarensteyn. Leur refus de se prononcer sur cette cause laisse entendre qu’ils pourraient décider que l’apartheid légal dans notre système scolaire est approprié. »

Selon Francis Buckley, professeur de droit conservateur, cette question cache un objectif toxique : « diaboliser » les juges nommés par Donald Trump.

« On veut nous faire croire que la nuit obscure du fascisme est sur le point de descendre sur les États-Unis. Ce n’est pas le cas », a-t-il déclaré.

Qu’à cela ne tienne : lors de son audition, Steve Menashi a affirmé que l’arrêt de 1954 avait été correctement décidé. Ouf ! Pour autant, aucun progressiste américain ne se réjouit à la possibilité qu’il devienne le 151e juge de Donald Trump.