(New York) Les affaires vont bien pour Nela Cacuango en ce deuxième samedi soir de juillet. Ses brochettes de viande et de poulet s’envolent, et son assistante doit redoubler d’efforts pour l’approvisionner. Il faut dire que son grill est bien placé : près d’une station de métro de la ligne numéro 7, à la frontière de Jackson Heights et Corona, deux des quartiers les plus cosmopolites de Queens – et des États-Unis.

Mais Nela Cacuango arrête un moment de servir ses clients et accepte volontiers les documents que lui tend l’un des bénévoles mobilisés par la représentante démocrate du coin, Alexandria Ocasio-Cortez. Il s’agit d’une feuille et d’un carton contenant des informations en anglais et en espagnol sur la façon de se comporter face à la police de l’immigration (ICE).

« Si la police de l’immigration frappe à votre porte, n’ouvrez pas. […] La police de l’immigration peut entrer dans une maison seulement si elle a un mandat judiciaire signé par un juge. Les mandats judiciaires sont RARES », dit l’un des documents.

« Je connais quelqu’un à qui ça pourrait servir », dit la cuisinière de 41 ans en remerciant le bénévole.

Un peu plus tard, en s’adressant à La Presse, elle désignera du menton son assistante : « Elle est terrifiée. Elle a une maison en Équateur, mais elle a peur d’être séparée de ses enfants, qui sont nés aux États-Unis.

— Et vous ?

— Mes parents sont équatoriens, mais je suis née ici. »

L’assistante de Nela Cacuango n’est pourtant pas visée par l’opération d’expulsions qui devait commencer hier dans 10 villes américaines, dont New York, Los Angeles, Chicago et Miami. L’opération vise officiellement environ 2000 migrants qui ont traversé récemment la frontière au sein d’« unités familiales » et qui font l’objet d’une mesure de renvoi.

Or, au terme de la journée, hier, aucune opération digne de ce nom n’avait été rapportée.

Une peur répandue

Mais la peur de l’Équatorienne de Queens est répandue. Et elle n’est pas irrationnelle. Car la police de l’immigration a évoqué la possibilité que son opération entraîne des expulsions « collatérales ». L’expression signifie que des clandestins se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment, pourraient également être arrêtés.

Cela dit, Donald Trump a fait perdre à la police de l’immigration un atout précieux : l’élément de surprise. En confirmant la date de l’opération, le président des États-Unis a permis aux groupes de défense des immigrés de multiplier les conseils aux sans-papiers et à ces derniers de se préparer en conséquence.

Mais l’occupant de la Maison-Blanche n’en a cure, selon Murad Awawdeh, de la New York Immigration Coalition.

« Cette opération est une manœuvre politique de la part de l’administration Trump », a dit le militant à La Presse lors d’une manifestation à Manhattan contre la politique migratoire du président, vendredi soir. 

Ils essaient de dire qu’ils sont en train de remplir une promesse électorale. Et le plus regrettable, c’est que l’objectif qu’ils poursuivent, en publicisant l’opération, est de semer la peur et l’anxiété dans nos communautés. Mais, aujourd’hui, nous sommes ici pour démontrer que nous avons le courage de riposter.

Murad Awawdeh

Au Congrès américain, cette riposte est incarnée par quatre représentantes démocrates, dont Alexandria Ocasio-Cortez, qui ont vivement dénoncé les conditions « horribles » et « inhumaines » dans les centres de détention de migrants à la frontière sud.

Hier matin, sans les nommer, Donald Trump a semblé s’attaquer violemment à ces représentantes, véhiculant sur Twitter un racisme et une xénophobie encore plus flagrants que d’ordinaire.

« Tellement intéressant de voir les élues ‘‘progressistes’’ démocrates du Congrès […] désormais dire haut et fort et de manière perfide à la population des États-Unis, la plus grande et la plus puissante nation de la Terre, comment notre gouvernement doit être dirigé », a-t-il tweeté après avoir précisé que ces représentantes étaient « originaires de pays dont les gouvernements sont dans une situation totalement catastrophique, les pires, les plus corrompus et ineptes au monde ».

« Pourquoi ne retournent-elles pas dans ces endroits totalement défaillants et infestés par la criminalité desquels elles viennent pour aider à les réparer. »

IMAGE TIRÉE DE TWITTER

Le président Donald Trump a appelé hier matin sur Twitter des femmes parlementaires démocrates à « retourner » d’où elles venaient, s’attirant de vives critiques de responsables de ce parti.

Divisions démocrates

Donald Trump faisait vraisemblablement référence à Alexandria Ocasio-Cortez, née dans le Bronx, Rashida Tlaib, née à Detroit, Ayanna Pressley, née à Cincinnati, et Ilhan Omar, née à Mogadiscio, en Somalie, et naturalisée Américaine en 2000.

Le président n’aurait pas choisi par hasard de s’attaquer à ces quatre représentantes. Non seulement sont-elles des femmes de couleur, mais également elles défendent des positions en matière d’immigration qui divisent les démocrates. Elles sont en faveur de l’abolition de la police de l’immigration, de la décriminalisation du franchissement non autorisé de la frontière, de la fermeture des camps de détention de migrants à la frontière sud et de l’arrêt des expulsions de sans-papiers.

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les élues démocrates Alexandria Ocasio-Cortez (New York) et Ilhan Omar (Minnesota), en février dernier

Donald Trump aimerait qu’Alexandria Ocasio-Cortez et ses trois collègues deviennent le visage du Parti démocrate. Dans une certaine mesure, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, craint que son souhait ne devienne réalité. D’où ses critiques récentes à l’endroit de ce groupe. Sur un ton qui a déplu à de nombreux progressistes, elle leur a reproché d’avoir beaucoup d’abonnés sur Twitter, mais peu ou pas d’appuis au sein du groupe démocrate de la Chambre.

Hier, Nancy Pelosi a quand même senti le besoin de se porter à la défense du quatuor. Dans un message publié sur Twitter, elle a dit voir dans l’attaque « xénophobe » du président la preuve que son objectif n’est pas de « rendre sa grandeur à l’Amérique », mais bien de lui « rendre sa blancheur ».

Dans Queens, arrondissement multiethnique par excellence, cet objectif serait risible s’il n’était pas entretenu par un président ayant le pouvoir de déployer une police de l’immigration et de séparer des familles.