(NEW YORK) Quel candidat démocrate est le plus apte à tenir tête à Donald Trump et à le vaincre en novembre 2020 ?

Depuis le début de sa campagne présidentielle, Joe Biden répète qu’il est ce candidat. Et bon nombre d’électeurs démocrates le croient, si l’on se fie aux sondages, qui confèrent à l’ancien vice-président une avance appréciable sur tous ses rivaux.

Mais l’un d’eux, ou plutôt l’une, a semé un doute à ce sujet, jeudi soir. Kamala Harris, sénatrice de Californie, n’a pas seulement dominé le deuxième débat tenu cette semaine, à Miami, entre les candidats démocrates à la présidence, elle a également ébranlé Joe Biden lors d’un long échange sur la question raciale, qui représentera peut-être un tournant dans la course.

« Une étoile est née ce soir », a déclaré le commentateur et animateur Van Jones sur la chaîne CNN après le débat.

« Eric Swalwell a demandé à Joe Biden de passer le flambeau. Kamala Harris s’en est emparé », a gazouillé Mark Lakasiewicz, ex-producteur de débats à la station NBC, en mentionnant le nom de l’un des plus jeunes candidats démocrates à la présidence.

Conclusions hâtives

Susan MacManus, analyste politique aguerrie, s’est montrée plus circonspecte, au lendemain d’un débat auquel elle a assisté sur place.

« Est-ce que le débat doit préoccuper Joe Biden ? Oui. Est-ce qu’il encouragera Kamala Harris ? Oui. Mais il serait prématuré de tirer des conclusions fermes », a déclaré la politologue émérite de l’Université de Floride du Sud.

De la banlieue de Pittsburgh où il a suivi le débat à la télévision, Mike Mikus, stratège démocrate, a fait entendre le même son de cloche.

« De toute évidence, Harris a eu l’avantage sur Biden dans cet échange. Mais je ne pense pas que cela nuira mortellement à la candidature de Biden. Cela représente un défi qu’il devra surmonter », a-t-il déclaré.

L’échange a certainement rehaussé le profil de Harris, surtout auprès des électeurs qui cherchent une autre option que Biden.

Mike Mikus

Le fameux échange s’est produit au début de la deuxième et dernière heure du débat. Au cours de la première heure, Kamala Harris avait surclassé la plupart de ses rivaux, faisant montre d’éloquence, d’assurance et de compétence pour illustrer, à l’aide d’exemples concrets, chacun des sujets abordés. Mais c’est en mettant à profit une combativité qui a dû lui servir dans son travail de procureure qu’elle a attaqué Joe Biden. 

Elle a d’abord dénoncé ses propos nostalgiques sur la « courtoisie » de sénateurs ségrégationnistes avec lesquels il a réussi à s’entendre au début des années 70. Et elle a critiqué son opposition au « busing », l’organisation controversée du transport scolaire pour favoriser la mixité ethnique dans les écoles, à la même époque.

« Je ne crois pas que vous soyez raciste », a déclaré la sénatrice de Californie en s’adressant à l’ex-bras droit de Barack Obama. « Et je suis d’accord avec vous sur l’importance de trouver un terrain d’entente. Mais c’est personnel, et ça m’a blessée de vous entendre parler de la réputation de sénateurs américains qui ont bâti leur carrière et leur réputation sur la discrimination raciale. »

« Et ce n’est pas tout, vous avez également travaillé avec eux pour vous opposer au busing », a ajouté la native d’Oakland. « Et vous savez, il y avait une petite fille en Californie qui appartenait à la deuxième génération à se rendre à son école publique en bus, chaque jour. Cette petite fille, c’était moi. »

Contre-attaque

Sans s’arrêter pour souligner la blessure personnelle à laquelle Kamala Harris venait de faire allusion, Joe Biden a contre-attaqué en accusant sa rivale de dénaturer son parcours en matière de droits civiques. Il a notamment nié s’être opposé au principe du « busing », déclaration contredite par ses postures passées.

Exaspéré, il a fini par lâcher, avant même que l’un des modérateurs ne lui coupe la parole, une phrase lourdement symbolique : « Mon temps est écoulé, je suis désolé. »

PHOTO MIKE SEGAR, REUTERS

Les candidats Joe Biden, Bernie Sanders et Kamala Harris

« Cet échange est majeur en raison de l’importance du facteur ethnique au sein du Parti démocrate », a commenté Susan MacManus, analyste politique de Floride. « Il illustre également le gouffre des générations entre des candidats démocrates. »

Avant les débats de cette semaine, Joe Biden détenait une forte avance dans les sondages auprès des électeurs afro-américains, dont beaucoup ont apprécié ses loyaux services aux côtés de Barack Obama. Il est évident que Kamala Harris doit faire une percée importante au sein de cet électorat pour espérer remporter l’investiture démocrate pour la présidence.

« Il sera intéressant de voir l’effet de l’échange sur les sondages », a déclaré Mike Mikus, stratège de Pittsburgh.

Réponses imprécises

Joe Biden n’a pas commis d’impairs majeurs lors du débat, mais ses réponses étaient parfois hésitantes ou vagues. De nombreux commentateurs ont relevé que le candidat de 76 ans avait l’air fatigué au cours d’un débat où il n’a pas seulement été pris à partie par Kamala Harris, mais également par les sénateurs Bernie Sanders (Vermont), Michael Bennett (Colorado) et Kirsten Gillibrand (New York), entre autres.

Le jeune maire de South Bend, Pete Buttigieg, a également connu de bons moments jeudi soir, en abordant avec aplomb des sujets aussi divers que le racisme systémique, la violence liée aux armes à feu et le défi commercial de la Chine.

Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, avait dominé la première soirée des débats démocrates, mercredi, suivie par Julián Castro, ancien maire de San Antonio. Beto O’Rourke, ancien représentant du Texas, avait été le grand perdant de cet affrontement.

Les prochains débats démocrates auront lieu dans un mois, à Detroit, avec de nouveaux critères qui devraient réduire le nombre de participants. Il reste à voir si l’étoile de Kamala Harris continuera à briller d’ici là.