(New York ) La procureure qui a fait condamner les « cinq de Central Park », depuis disculpés, est sur la sellette depuis la diffusion d’une série coup de poing sur cette affaire.

C’est un fait divers sur lequel New York et les États-Unis sont incapables de tirer un trait.

En avril 1989, dans une métropole gangrénée par la violence, le crack et les tensions raciales, cinq adolescents – quatre Afro-Américains et un Latino –, âgés de 14 à 16 ans, sont arrêtés et accusés d’avoir sauvagement battu et violé une joggeuse blanche. La victime, une banquière d’affaires âgée de 28 ans, est laissée pour morte dans un buisson de Central Park au cours d’une soirée où des dizaines de jeunes ont intimidé ou bousculé des promeneurs, des cyclistes et des joggeurs. Elle sort d’un coma au bout de 12 jours, et n’a aucun souvenir de l’agression.

Les cinq adolescents seront jugés coupables sur la seule foi d’aveux obtenus sans la présence d’avocats et retirés peu après. Aucune preuve physique ne les relie au crime, pas même un seul brin d’ADN. Ils seront condamnés en 1990 à des peines d’emprisonnement allant de 6 à 13 ans.

Or, en mai 2002, un détenu, Matias Reyes, avoue être le coupable du viol de Trisha Meili, la joggeuse. Son ADN correspond à celui retrouvé sur la victime. 

En décembre de la même année, le bureau du procureur de Manhattan disculpe les cinq adolescents et publie un rapport accablant pour  les responsables de l’enquête. 

En 2014, la Ville de New York verse des dédommagements totalisant 41 millions de dollars aux « cinq de Central Park », sans toutefois reconnaître ses torts.

Ce fait divers a inspiré des livres et un documentaire, The Central Park Five, réalisé par Ken Burns et diffusé en 2013. Mais aucun de ces récits factuels n’aura suscité les émotions et provoqué les conséquences de When They See Us, la nouvelle minisérie de Netflix signée par la réalisatrice et documentariste Ava DuVernay, qui a dramatisé l’histoire en s’inspirant de « faits réels ».

Émotions et conséquences qui ont contribué la semaine dernière à la déchéance d’une justicière devenue romancière à succès et au rappel du rôle joué dans cette affaire par un promoteur immobilier devenu président des États-Unis.

PHOTO CHARLES WENZELBERG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Linda Fairstein, en mars 1988

La justicière s’appelle Linda Fairstein. Faisant œuvre de pionnière, elle a dirigé de 1976 à 2002 l’unité des crimes sexuels au sein du bureau du procureur de Manhattan. Son travail a servi d’inspiration aux créateurs de la série télévisée Law & Order : Special Victims Unit. Et il a nourri la trame de quelque 20 romans policiers qu’elle a publiés depuis le milieu des années 90.

Or, vendredi dernier, son éditeur – Dutton, filiale du groupe Penguin Random House – l’a larguée, réagissant à une campagne lancée sur les médias sociaux et accompagnée du mot-clic #CancelLindaFairstein. Plus tôt dans la même semaine, l’ancienne procureure avait décidé d’elle-même de quitter plusieurs conseils d’administration où elle siégeait, dont celui de son alma mater, le prestigieux Vassar College. Selon ses dires, elle voulait leur épargner d’être mêlés à la controverse qui la vise.

Dans la minisérie de Netflix, Linda Fairstein, incarnée par l’actrice Felicity Huffman, est la vilaine par excellence. « Tous les jeunes Noirs qui étaient dans le parc hier soir sont des suspects du viol de cette femme », dit-elle aux détectives du NYPD au début du premier des quatre épisodes.

Le zèle aveugle et raciste de la procureure devient celui des détectives, qui convaincront chacun des cinq « suspects » arrêtés de façon arbitraire de trahir les autres en leur promettant faussement qu’ils pourront ensuite rentrer à la maison. Tel qu’il est décrit par DuVernay, le procédé constitue une injustice révoltante.

Après le lancement de la minisérie, Linda Fairstein a dénoncé le « paquet de mensonges » d’une « réalisatrice terriblement irresponsable », l’accusant de lui avoir mis des mots dans la bouche et d’avoir dénaturé le déroulement de l’enquête. Elle a de plus critiqué la « mentalité de lynchage » qui anime selon elle ses détracteurs en ligne. Cette dénonciation, il faut le souligner, ne manque pas d’ironie, si l’on se reporte au climat qui a contribué à l’arrestation des « cinq de Central Park » et à leur condamnation un an plus tard.

À l’instar du NYPD, Linda Fairstein continue à nier tout acte répréhensible dans cette affaire. Après les aveux de Matias Reyes, elle avait notamment défendu les interrogatoires des « suspects » qu’elle avait supervisés. Voici pourtant ce que le bureau du procureur de Manhattan a écrit dans son rapport de 50 pages disculpant les cinq New-Yorkais dont la vie avait été saccagée :

« [Leurs aveux] différaient les uns des autres sur les détails spécifiques de presque tous les aspects importants du crime – qui a instigué l’attaque, qui a renversé la victime, qui l’a dévêtue, qui l’a retenue, qui l’a violée, quelles armes ont été utilisées au cours de l’agression, et comment l’ordre des événements s’est produit. »

L’injustice symbolisée par ce fait divers est connue depuis plus de 16 ans. Pour autant, elle n’a pas empêché Linda Fairstein de profiter de son expertise professionnelle pour poursuivre une carrière littéraire qui a fait d’elle une femme riche et admirée. Il aura fallu une série coup de poing pour la déchoir.

Il en faudra sans doute plus pour ébranler le statut du promoteur immobilier devenu président. Donald Trump apparaît dans le deuxième épisode de la minisérie, réclamant le retour de la peine de mort à New York en conférence de presse et dans des annonces pleine page publiées dans les journaux locaux.

« Je hais ces agresseurs et ces meurtriers. Ils devraient être forcés à souffrir », clamait-il en faisant référence à Antron McCray, Kevin Richardson, Raymond Santana, Yusef Salaam et Korey Wise, qui attendent toujours des excuses de sa part.

Celles de Linda Fairstein seraient également les bienvenues.