L'auteur américain Michael Wolff, qui décortique derechef les dessous de la présidence de Donald Trump dans un nouveau livre intitulé État de siège, doute que le chef d'État soit en mesure d'obtenir un second mandat.

« Tout ça va finir dans les larmes, les larmes de Donald Trump », a indiqué hier à La Presse M. Wolff, qui a vendu plus de cinq millions d'exemplaires de son ouvrage précédent sur les coulisses de la Maison-Blanche, Le feu et la fureur.

« Je ne peux pas imaginer un scénario dans lequel il est en mesure de gagner l'élection. Et je ne peux pas imaginer un scénario où il accepterait la possibilité de perdre », relève l'auteur, qui ne serait pas étonné de voir le président renoncer à l'investiture républicaine pour l'élection de 2020.

Le constat peut sembler surprenant alors que le procureur spécial Robert Mueller a écarté récemment, dans son rapport final, les allégations de collusion entre la Russie et l'équipe de campagne du président tout en évoquant de possibles tentatives d'entrave à la justice.

M. Wolff note que le rapport en question ne marque pas le fin mot de l'histoire pour Donald Trump, puisque M. Mueller a pris soin, durant son mandat, de partager avec les procureurs de différents États des informations délicates alimentant une série d'enquêtes potentiellement embarrassantes.

Elles ciblent, résume-t-il, « la Maison-Blanche de Trump, la Trump Organization, la famille Trump et Donald Trump lui-même » pour une série de délits allégués, allant du blanchiment d'argent à des fraudes bancaires et du financement illégal de campagne.

Une source omniprésente

L'analyse de Michael Wolff relativement aux chances de survie politique de Donald Trump reflète les propos de Steve Bannon, qui constitue une source omniprésente dans son nouvel ouvrage.

L'ex-conseiller de la Maison-Blanche, démis de ses fonctions en raison de la tempête soulevée par ses critiques de la famille Trump dans Le feu et la fureur, pense que « les risques que le président coule sont plus grands que jamais ».

Le chef d'État, grince-t-il, risque de se retrouver ravalé au « rang de simple homme d'affaires malhonnête », « un salopard comme il y en a tant, au lieu du milliardaire qu'il prétend être ».

Michael Wolff accorde une grande importance à Bannon, figure de proue de la droite populiste, qui n'hésite pas à dénigrer ouvertement les capacités intellectuelles du président tout en insistant sur l'importance qu'il joue dans l'avancée de ses projets politiques.

PHOTO CAROLYN KASTER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L'auteur Michael Wolff ne serait pas étonné de voir le président Donald Trump renoncer à l'investiture républicaine pour l'élection de 2020.

L'ex-conseiller a réussi à placer plusieurs proches collaborateurs dans l'entourage de Donald Trump et tente régulièrement de lui suggérer la ligne de conduite à suivre, notamment par l'entremise de Sean Hannity, animateur de Fox News, devenu l'un des principaux confidents du président.

La fille de Donald Trump, Ivanka, et son conjoint, Jared Kushner, tentent aussi régulièrement d'influer sur le président et s'opposent au programme nationaliste et protectionniste préconisé par Bannon et son entourage.

Impossible à contrôler

Aucune des deux factions ne réussit véritablement à contrôler le chef d'État, prévient M. Wolff. « Il est difficile à utiliser parce qu'il est totalement imprévisible et complètement insensible aux idées et aux faits », relève l'écrivain.

Plutôt qu'un programme politique, le président s'occupe d'abord et avant tout de son ego et cherche à être conforté par ses collaborateurs, dit-il.

« Il n'y a jamais eu à ce poste quelqu'un d'aussi peu intéressé par les enjeux qui concernent la présidence américaine et d'aussi peu qualifié pour assumer le rôle. » - Michael Wolff, auteur d'État de siège

Le narcissisme de Donald Trump, accuse- t-il, conditionne tous les aspects de la présidence, y compris la politique étrangère.

L'ex-secrétaire d'État Henry Kissinger, qui agit comme un conseiller de l'ombre pour Jared Kushner, déplore dans le livre que les relations internationales du pays dépendent désormais de « la réaction d'un unique individu instable à ce qu'il perçoit comme des affronts ou des flatteries ».

Kushner, qui prétend régler le conflit israélo-palestinien malgré son absence totale d'expérience dans le domaine, voit dans les questions internationales une excellente façon de faire oublier au président la politique intérieure, écrit M. Wolff.

Le quotidien de la Maison-Blanche, dans la période examinée par l'ouvrage, est marqué par la progression de l'enquête de Robert Mueller, que Donald Trump souhaite à plusieurs reprises faire congédier.

Michael Wolff affirme que le procureur spécial a envisagé au printemps 2018 de mettre le président en accusation pour entrave à la justice et qu'un acte d'accusation a été dressé à cette fin. Un avis juridique défendant l'idée qu'un président en fonction peut être poursuivi a aussi été rédigé, dit-il.

Bien que le porte-parole du procureur spécial ait nié l'existence de tels documents à la sortie du livre il y a quelques jours, M. Wolff persiste et signe. Il affirme qu'il a des copies en main, mais qu'il ne peut les produire pour protéger sa source.

Robert Mueller, dit-il, craignait que le président ne le congédie et ne torpille du même coup ses efforts avant que son travail ne soit mené à terme.

Éviter la crise

L'ancien directeur du FBI avait le choix « entre provoquer une crise constitutionnelle sans précédent [en mettant le président en accusation] ou botter en touche » en laissant au Congrès la possibilité de décider de l'opportunité de lancer un processus de destitution.

M. Wolff note que Donald Trump a accueilli triomphalement les conclusions du rapport et s'est félicité au passage d'avoir adopté une attitude intransigeante face au procureur spécial et son équipe.

« Ne jamais, jamais, jamais céder. La faiblesse, voilà ce qu'ils attendent. La peur. Je n'ai pas peur. Ils le savent. Je les ai fait chier dans leur froc », a-t-il déclaré, selon État de siège.

Le politicien a évité « un coup potentiellement mortel », mais il n'en demeure pas moins profondément fragilisé, prévient l'écrivain.

« Il l'a échappé belle, sans doute, mais pas pour longtemps », conclut-il.

Un auteur controversé

Le premier ouvrage de Michael Wolff avait suscité de vives protestations de la Maison-Blanche et des critiques de la part de médias qui remettaient en question la véracité de certaines des anecdotes avancées. Le nouveau livre suscite aussi des réserves. Le magazine Rolling Stone, dans une critique grinçante, a indiqué cette semaine que l'écrivain était « peut-être l'historien le moins fiable que l'Amérique ait connu ». L'auteur du texte, Matt Taibbi, note qu'État de siège repose notamment sur les témoignages de « menteurs avérés » issus de l'administration de Donald Trump dont les propos doivent être accueillis avec réserve. « Les lecteurs du livre y verront ce qu'ils veulent. Si vous aimez vous complaire dans des anecdotes sur le narcissisme de Trump, et que vous êtes prêt à croire que tout ce que le livre contient est vrai (ou que quelque chose est vrai), il y a beaucoup de matière », conclut-il.

État de siège

Michael Wolff

Éditions Robert Laffont

PHOTO NICHOLAS KAMM, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Steve Bannon, ex-conseiller de la Maison-Blanche

État de siège sera en vente au Québec à partir du 14 juin.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

État de siège, de Michael Wolff