Le projet de loi adopté par le Sénat de l’Alabama cette semaine, qui interdit presque tous les avortements, n’est que la pointe de l’iceberg d’une offensive conservatrice qui a pour but de restreindre le droit à l’avortement partout au pays. Quatre autres États ont déjà adopté des lois comparables et sept autres sont en voie de le faire. Le tour des enjeux en six questions et réponses.

Que prévoit la loi adoptée en Alabama ?

Le Sénat de cet État du sud du pays, contrôlé par les républicains, vient d’adopter le projet de loi le plus restrictif des États-Unis à l’égard de l’avortement. Selon cette loi, qui a reçu hier l’assentiment de la gouverneure de l’État, Kay Ivey, l’avortement devient illégal à toutes les étapes de la grossesse, et ce, même si la mère a été victime d’un viol ou d’inceste. Les médecins qui pratiquent des interruptions de grossesse sont passibles de 10 à 99 ans d’emprisonnement. C’est le plus restrictif des projets de loi du genre présentés à une législature d’État à ce jour. « La seule exception, c’est dans l’éventualité où la vie de la femme est en danger », note Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Quels autres États ont des lois comparables ?

Le Mississippi, l’Ohio, la Géorgie et le Kentucky ont tous adopté des projets de loi interdisant l’avortement dès la détection des battements de cœur fœtaux, mais sans imposer de restrictions aussi importantes qu’en Alabama. Ces lois ont hérité du surnom de « heartbeat bills » dans les médias américains. Des politiciens républicains ont présenté des projets semblables en Arkansas, en Floride, au Minnesota, au Kentucky, en Virginie-Occidentale, en Caroline du Sud, au Tennessee et au Texas. De l’aveu même des initiateurs de ces projets, l’idée est d’amener des organisations à contester ces lois devant les tribunaux afin que la contestation se rende jusqu’à la Cour suprême, qui, depuis la nomination des juges Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh par l’administration Trump, est à majorité conservatrice. « Ceux qui sont derrière le projet de loi ne veulent pas seulement criminaliser l’avortement au niveau des États, ils veulent aussi renverser Roe c. Wade », dit Andréanne Bissonnette.

Les États ont-ils le droit de légiférer sur l’avortement ? N’est-ce pas une prérogative fédérale aux États-Unis ?

Peu de décisions de la Cour suprême sont aussi célèbres que la décision rendue dans le cas de Roe contre Wade en 1973. Dans ce jugement, la Cour a statué que le 14e amendement de la Constitution américaine garantissait aux femmes américaines le « droit à la vie privée » pendant le premier trimestre de la grossesse et que l’État ne pouvait donc pas limiter le droit à l’avortement pendant les 14 premières semaines de grossesse. La même décision statue que l’État peut intervenir pour protéger la santé de la femme lors du deuxième trimestre. Pendant le troisième trimestre, l’avortement peut être interdit, sauf si la vie de la mère est en danger. C’est sur la base de cette décision que les États américains ont le droit de légiférer en matière d’avortement. Cependant, en adoptant des lois qui touchent le premier trimestre de la grossesse, ils vont ouvertement à l’encontre de la décision de la Cour suprême et, du coup, de la Constitution. Hier, d’ailleurs, plusieurs organisations, dont la National Organization for Women (NOW), ont affirmé que les lois adoptées jusqu’à maintenant étaient « inconstitutionnelles ». Principal défenseur des droits civils aux États-Unis, l’American Civil Liberties Union (ACLU) a déjà annoncé qu’elle contesterait les lois récemment adoptées devant les tribunaux.

La contestation judiciaire n’est-elle pas exactement ce que veulent les législateurs républicains ?

« Si ces lois ne sont pas contestées, les femmes de l’Alabama et des autres États ciblés perdront le droit à l’avortement dans leur État. Si on conteste, on risque que ça se rende à la Cour suprême et que le droit à l’avortement soit modifié », note Andréanne Bissonnette, qui s’intéresse à la question des droits reproductifs aux États-Unis, mais aussi en Amérique latine. Mme Bissonnette note cependant que la Cour suprême n’est pas obligée d’entendre toutes les causes et pourrait décider de ne pas s’en mêler. Ce fut notamment le cas lorsque le Dakota du Nord a adopté une loi restrictive. La Cour suprême n’a pas cru bon de revenir sur une décision d’un tribunal inférieur qui a invalidé la loi en 2013. Cependant, à l’époque, la majorité des juges à la Cour suprême étaient réputés « progressistes ».

La loi de l’Alabama et celles des autres États sont-elles déjà en vigueur ?

Non, pas encore. D’ailleurs, l’ACLU a annoncé sur les réseaux sociaux hier que les trois cliniques d’avortement de l’Alabama étaient toujours ouvertes. Dans chaque État, il y a un délai entre l’adoption de la loi et l’entrée en vigueur. En Alabama, note Andréanne Bissonnette, le délai est de six mois, alors qu’en Ohio, la loi pourrait entrer en vigueur dès le mois de juillet, mais la section locale de l’ACLU a déjà annoncé qu’elle demanderait une injonction aux tribunaux pour que la loi n’entre pas en vigueur avant la fin de la contestation judiciaire.

La contestation conservatrice a-t-elle été causée par une hausse du taux d’avortement aux États-Unis ?

Absolument pas. Le taux d’avortement aux États-Unis était de 14,6 pour 1000 naissances en 2014, soit un taux inférieur à l’année de la décision de la Cour suprême dans Roe c. Wade, selon l’Institut Guttmacher, qui compile des statistiques sur la question. Selon la même organisation, la moyenne mondiale est de 35 avortements pour 1000 naissances. L’Amérique du Nord, qui comprend le Canada, les États-Unis et le Mexique, a le taux le plus bas au monde.