(New York) Les journalistes ont vite rivalisé d’indignation sur Twitter. « Scandaleux », a tweeté l’un d’eux. « Révoltant », a gazouillé un autre. « Effrayant », a dénoncé un troisième.

Quel malheur s’est-il donc abattu sur la presse américaine ? Notons d’abord qu’il est venu d’une adresse dont le locataire considère cette presse comme « l’ennemie du peuple ».

Ainsi, la Maison-Blanche a révoqué ces dernières semaines les accréditations de dizaines de journalistes affectés à la couverture de la présidence. Ceux-ci ont perdu leur accès régulier à la salle de presse du 1600 Pennsylvania Avenue parce qu’ils ne respectaient pas une nouvelle règle draconienne : y avoir été présents au moins 90 jours sur une période de 180 jours, incluant les déplacements, les week-ends et les vacances.

Comme la plupart de leurs journalistes ne répondent pas à ce critère, les médias doivent désormais demander à la Maison-Blanche de leur accorder des « exemptions » ou des accréditations renouvelables chaque jour, chaque semaine ou tous les six mois. Or, les exemptions semblent être consenties de façon arbitraire ou punitive, selon le chroniqueur du Washington Post Dana Milbank, qui se retrouve aujourd’hui sans accréditation.

« Je soupçonne fortement que c’est parce que je suis un critique de Trump. » — Dana Milbank, chroniqueur du Washington Post qui se retrouve aujourd’hui sans accréditation

Selon M. Milbank, qui dénonce une « purge massive », les exemptions ou les accréditations renouvelables accordées par la Maison-Blanche signifient que les journalistes « servent au plaisir de la porte-parole Sarah Sanders » et « peuvent se voir retirer leur accréditation quand ils critiquent Trump ou ses conseillers ».

La porte-parole de la Maison-Blanche a défendu les nouvelles règles en mentionnant les inquiétudes exprimées par les services secrets concernant un très grand nombre d’accréditations de longue durée en circulation. « Personne ne voit son accès limité », a déclaré Sarah Sanders mercredi au Washington Post.

« C’est ce que les dictateurs font »

Mais les défenseurs de la liberté de la presse aux États-Unis ne sont pas rassurés par ces paroles.

« Je suis consternée, mais pas surprise », a dit à La Presse Lucy Dalglish, doyenne de l’École de journalisme de l’Université du Maryland. « Lors de l’audience du tribunal concernant le cas de Jim Acosta [correspondant de CNN], en novembre dernier, le juge avait essentiellement invité la Maison-Blanche à établir un plan pour l’accréditation des journalistes. Cela aurait pu être fait d’une façon raisonnable et démocratique qui reflète le droit du public à l’information concernant le pouvoir exécutif. Mais on a choisi une façon vindicative et irrationnelle qui permet de traiter les journalistes de manière arbitraire. »

Jim Acosta, faut-il rappeler, avait perdu son accès à la Maison-Blanche après un échange houleux avec Donald Trump lors d’une conférence de presse. À la suite d’une plainte de son employeur, un juge avait ordonné à l’administration de lui rendre son accréditation.

« C’est épouvantable », a poursuivi Lucy Dalglish lors d’un entretien téléphonique. « Oublions pendant un instant combien cela complique le travail des journalistes. Ce qui est vraiment consternant, c’est le tort que cela cause au droit des gens à participer à la démocratie. »

« La démocratie peut fonctionner seulement sur la base d’une bonne information. Or, qu’on le veuille ou non, les médias restent le moyen par lequel 99 % des Américains obtiennent de l’information. » — Lucy Dalglish, doyenne de l’École de journalisme de l’Université du Maryland

Des élus démocrates ont également dénoncé la révocation des accréditations de dizaines de correspondants de la Maison-Blanche.

« C’est ce que les dictateurs font », a tweeté le sénateur du Vermont Patrick Leahy.

« Restreindre une presse libre et diminuer l’accès du public au gouvernement sont des caractéristiques de l’autoritarisme qui n’ont pas leur place [aux États-Unis]. Cette purge de journalistes est antiaméricaine et doit être annulée le plus tôt possible », a renchéri le sénateur de l’Oregon Jeff Merkley.

L’administration Trump avait déjà modifié la nature des relations entre la presse et la Maison-Blanche en mettant fin aux points de presse quasi quotidiens tenus par Sarah Sanders.