Le fondateur controversé de WikiLeaks, Julian Assange, a écopé hier de 50 semaines de prison pour avoir refusé de se rendre aux autorités britanniques pendant sept ans. Il doit maintenant lutter contre une demande d'extradition américaine qui risque de le mener en prison outre-Atlantique.

Pourquoi cette peine de 50 semaines ?

Julian Assange est devenu une figure mondialement connue en 2010 après la divulgation par le site WikiLeaks de centaines de milliers de documents militaires américains confidentiels. Il a été ciblé la même année par une demande d'extradition de la Suède, qui enquêtait sur les allégations d'agression sexuelle de deux femmes. Après avoir tenté en vain de contester la demande suédoise, le militant avait trouvé refuge dans l'ambassade de l'Équateur à Londres en 2012. Il en est sorti le 11 avril, sept ans plus tard, après que Quito eut autorisé son arrestation par les autorités britanniques. Un juge l'a trouvé coupable le jour même d'avoir bafoué ses conditions de liberté provisoire. Hier, le tribunal a statué que son comportement justifiait près d'un an d'incarcération.

Sur quoi repose la décision du tribunal ?

Selon l'Agence France-Presse, la juge Deborah Taylor a reproché à Julian Assange d'avoir « exploité sa position privilégiée pour faire fi de la loi » en se cachant dans l'enceinte de l'ambassade. Elle a indiqué que son attitude avait « indéniablement » nui au déroulement des procédures suédoises, interrompues définitivement en 2017. L'avocat du militant a tenté de faire valoir que son client craignait surtout une extradition subséquente de la Suède vers les États-Unis, où certains élus réclamaient sa tête en lien avec les fuites survenues en 2010. Il a aussi fait valoir que le fondateur de WikiLeaks était demeuré coopératif avec les autorités suédoises tout au long de son séjour à l'ambassade et que la justice britannique avait contribué à l'impasse en leur suggérant de ne pas venir sur place pour l'interviewer. M. Assange a présenté ses excuses à la cour dans un bref message, disant que son comportement avait été motivé par sa peur de l'extradition aux États-Unis.

Comment ont réagi ses partisans ?

WikiLeaks, par l'entremise de son compte Twitter, a fustigé la décision du tribunal en relevant que la peine retenue s'approchait du seuil maximal prévu par la loi. L'organisation a indiqué qu'il s'agissait d'une procédure « vindicative » qui ne laisse présager rien de bon pour la procédure d'extradition vers les États-Unis. Une première audience à ce sujet est prévue ce matin. La rédactrice en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, a indiqué aux médias présents devant le tribunal que cette nouvelle procédure représentait une question « de vie ou de mort » pour Julian Assange. Il est accusé par les autorités américaines d'avoir comploté avec une ex-analyste militaire, Chelsea Manning, pour l'aider à obtenir un mot de passe devant lui permettre de subtiliser des documents confidentiels sans être prise. Ce crime est passible de cinq ans d'emprisonnement.

Julian Assange est-il soutenu par la communauté journalistique ?

L'administration américaine a pris soin de ne pas axer l'acte d'accusation sur la diffusion des documents, visant plutôt la tentative d'obtention illicite d'un mot de passe, ce qui limite la portée potentielle de la procédure pour les médias. Le Comité pour la protection des journalistes s'est néanmoins dit « extrêmement préoccupé » de la procédure lors de son arrestation, relevant que les allégations de la justice américaine sur la légalité de certains échanges entre les journalistes et leurs sources risquaient de nuire à la diffusion d'informations d'intérêt public. L'organisation n'a pas réagi hier à sa condamnation. Dans une lettre ouverte parue il y a quelques jours dans le New York Times, le doyen de l'école de journalisme de l'Université de Californie à Berkeley, Edward Wasserman, a prévenu que les journalistes devraient s'inquiéter de la gravité de la situation de Julian Assange plutôt que de se contenter de s'interroger sur ses méthodes passées. Il a précisé que l'arrestation du militant, une « source extraordinaire » pour les médias, était une nouvelle illustration de « la répression sauvage » exercée par la justice américaine envers les sonneurs d'alerte.

L'affaire en cinq temps

Juillet 2010

La presse mondiale publie 70 000 documents confidentiels sur les opérations de la coalition internationale en Irak et en Afghanistan diffusés par WikiLeaks. Le contenu de 250 000 câbles diplomatiques américains est dévoilé dans la foulée.

Novembre 2010

La Suède lance un mandat d'arrêt européen contre Julian Assange dans le cadre d'une enquête pour viol et agression sexuelle contre deux Suédoises en août 2010.

Juin 2012

Pour échapper à l'extradition, le fondateur de WikiLeaks se réfugie à Londres, à l'ambassade d'Équateur, qui lui accorde l'asile politique. Il demeurera sur place sept ans sans pouvoir sortir de crainte d'être arrêté par les autorités anglaises.

Avril 2019

Avec l'accord du gouvernement équatorien, Julian Assange est arrêté par la police britannique dans l'ambassade. Il est reconnu coupable le jour même d'avoir violé ses conditions de liberté provisoire.

Mai 2019

L'activiste est condamné à 50 mois de prison en lien avec cette condamnation. Il doit comparaître ce matin relativement à une demande d'extradition des États-Unis, qui l'accusent d'avoir comploté avec Chelsea Manning, ex-analyste militaire, pour l'aider à dérober des documents confidentiels.

- Agence France-Presse et La Presse

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Chelsea Manning lors de son passage à Montréal dans le cadre de la conférence C2