Le nom de Roy Cohn revient 11 fois dans le rapport de Robert Mueller. C'est beaucoup pour un homme qui est mort il y a plus de 30 ans. Mais ça illustre l'importance que cet avocat sulfureux revêt encore aux yeux de Donald Trump. Et ça explique en partie pourquoi ce dernier a survécu jusqu'ici à des révélations qui auraient été fatales à d'autres présidents.

Roy Cohn a lui-même été un modèle de résilience. Malgré son rôle dans l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire américaine - la chasse aux sorcières anticommuniste du sénateur Joseph McCarthy, dont il a été le bras droit en 1954 -, cet ancien procureur fédéral est parvenu à se recycler dans la pratique privée du droit à New York, sa ville natale. Parmi sa clientèle hétéroclite : l'archevêque de New York et cardinal Francis Spellman, le propriétaire des Yankees de New York, George Steinbrenner, trois chefs de la mafia new-yorkaise, dont John Gotti, et un jeune promoteur immobilier qui allait devenir président.

La première mention de Roy Cohn dans le rapport Mueller est liée à un épisode remontant au 3 mars 2017. La veille, le procureur général Jeff Sessions s'est récusé de l'enquête russe. Furieux, Donald Trump fait venir dans le bureau Ovale Don McGahn, conseiller juridique de la Maison-Blanche. Sont également présents le secrétaire général de la Maison-Blanche, Reince Priebus, et le conseiller du président Steve Bannon.

« Je n'ai pas d'avocat », rage Donald Trump en s'adressant à Don McGahn. Il ajoute, sur le même ton colérique, qu'il aimerait pouvoir compter sur un procureur général de la trempe de Roy Cohn. Priebus l'entend dire que Cohn « gagnait pour lui des causes qui n'avaient aucune chance ». Bannon note que le président décrit son ancien avocat comme « un gagnant et un combinard (fixer). »

Le président demande ensuite à McGahn de convaincre Sessions de revenir sur sa décision. Le conseiller juridique de la Maison-Blanche lui explique que les responsables de l'éthique au sein du département de la Justice ont déjà tranché la question. Remarque qui fait exploser le président.

« Tu me dis que Bobby et Jack [Kennedy] n'ont jamais parlé d'enquêtes ? Ou qu'Obama n'a jamais dit à Eric Holder sur qui enquêter ? »

- Donald Trump en parlant de deux présidents démocrates et de leurs procureurs généraux

Le rapport Mueller ne cite pas textuellement la phrase mémorable que le New York Times a prêtée à Donald Trump en racontant la même scène dans son numéro du 4 janvier 2018 : « Où est mon Roy Cohn ? »

Trois grandes règles

Donald Trump a fait la connaissance de Roy Cohn en 1973 dans un club privé de New York. Après un bref échange de politesses, il lui a parlé de la poursuite intentée par le gouvernement fédéral contre lui et son père pour refus de louer des appartements à des Noirs. Cohn a une idée. Quelques jours plus tard, il convoque la presse et annonce une contre-poursuite de 100 millions de dollars pour diffamation au nom des Trump. La cause se réglera à l'amiable sans une admission de culpabilité de la part des Trump, qui se diront aussitôt blanchis.

L'affaire résume les trois grandes règles de Roy Cohn, qui guident encore Donald Trump : ne jamais se rendre ; toujours contre-attaquer ; crier victoire, peu importe les circonstances.

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Dans les années 50, l'avocat new-yorkais Roy Cohn a été le bras droit du sénateur Joseph McCarthy durant sa chasse aux communistes, un des chapitres les plus sombres de l'histoire des États-Unis.

Don McGahn déclinera à plus d'une reprise de jouer les Roy Cohn auprès de Donald Trump. Le 26 janvier 2018, par exemple, le président lui demande d'émettre une déclaration niant une autre exclusivité du Times selon laquelle McGahn a menacé de démissionner plutôt que d'obéir à l'ordre du président d'orchestrer le renvoi de Robert Mueller. Le conseiller juridique refuse de mentir.

Quelques jours plus tard, lors d'une autre rencontre dans le bureau Ovale, Donald Trump dit à Don McGahn : « Qu'en est-il de ces notes ? Pourquoi prends-tu ces notes. Les avocats ne prennent pas de notes. Je n'ai jamais eu d'avocat qui prenait des notes. »

McGahn fait savoir à Trump qu'il prend des notes parce qu'il est un « vrai avocat ».

La réplique de Trump : « J'ai eu plusieurs grands avocats, comme Roy Cohn. Il ne prenait pas de notes. »

Un tournant ?

Si Don McGahn a refusé d'être le Roy Cohn de Donald Trump, il deviendra peut-être son John Dean, nom du conseiller juridique de la Maison-Blanche sous Richard Nixon. L'audition télévisée de Dean devant le Congrès avait marqué un tournant dans l'affaire du Watergate. Celle de McGahn mettrait de nouveau en scène un ex-conseiller juridique de la Maison-Blanche détaillant devant les caméras de télévision les tentatives d'un président pour faire entrave à la justice. Contribuerait-elle à son tour au lancement d'une procédure de destitution ?

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Don McGahn, conseiller juridique de la Maison-Blanche

Mais, avant de convoquer Don McGahn, la commission judiciaire de la Chambre des représentants entendra, le 2 mai prochain, le procureur général William Barr, qui a peut-être accepté d'être le Roy Cohn de Donald Trump.

Barr a déjà trompé le public à deux reprises, sciemment ou non, sur l'un des facteurs qui ont poussé Robert Mueller à ne pas inculper Donald Trump pour entrave à la justice.

Dans sa lettre du 24 mars résumant les conclusions du rapport du procureur spécial et dans sa conférence de presse précédant la publication du document expurgé, William Barr a affirmé que la décision de Mueller n'avait été aucunement influencée par la directive bien connue du département de la Justice selon laquelle un président en exercice ne peut être inculpé. C'est faux. Et c'est l'une des déclarations trompeuses ou mensongères qui ont valu à Barr d'être accusé de jouer le rôle de l'avocat personnel de Donald Trump.

Triste fin

Roy Cohn a connu une triste fin. Après avoir été inculpé et acquitté quatre fois pour des crimes allant de l'extorsion à l'entrave à la justice, en passant par la fraude boursière, il a été rayé du barreau en 1986 pour « malhonnêteté, fraude, supercherie et fausse déclaration ».

Quelques années plus tôt, Donald Trump avait commencé à se distancier quelque peu en public de son avocat et mentor. « Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il a été vicieux envers les autres pour me protéger. C'est un génie. Un avocat pourri, mais un génie. »

Et Roger Stone ?

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William Barr, procureur général des États-Unis

Roy Cohn est celui qui a présenté Roger Stone à Donald Trump en 1980. Stone, qui devait devenir le mentor politique du futur président, collectait alors de l'argent pour la campagne présidentielle de Ronald Reagan. Le père de Donald Trump lui a signé 200 chèques d'une valeur de 1000 $ chacun pour un total de 200 000 $. À l'époque, c'était légal. Or, si le nom de Roy Cohn apparaît 11 fois dans le rapport Mueller, celui de Roger Stone y brille par son absence. Ou plutôt, il n'apparaît pas dans la version expurgée du document, dont toutes les informations touchant à des procès en cours ont été caviardées. Stone a été inculpé en janvier pour avoir menti sur ses contacts avec WikiLeaks pendant la campagne présidentielle de 2016. Le rapport expurgé de Robert Mueller ne répond donc pas à l'une des questions importantes de l'affaire russe : le président ou des membres de son entourage ont-ils été impliqués dans la dissémination des courriels piratés par des agents russes ?

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Roger Stone a été le mentor politique de Donald Trump.