(New York) On les croyait invalidées depuis des mois, mais Donald Trump et les républicains ne cessent de remettre sur la table des théories complotistes dans le cadre des auditions au Congrès, leur offrant une visibilité inédite.

Un serveur contenant des courriels d’Hillary Clinton qui aurait disparu en Ukraine, ou des Ukrainiens - plutôt que des Russes - qui auraient tenté d’influer sur la présidentielle américaine de 2016 : plusieurs de ces thèses reviennent régulièrement dans le cadre de ces auditions.

Jeudi, c’est Fiona Hill, ex-responsable du Conseil de sécurité nationale, qui a martelé que la thèse de l’ingérence ukrainienne dans la présidentielle américaine était « une fiction ».

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L'ex-responsable du Conseil de sécurité nationale, Fiona Hill

Mardi, Kurt Volker, ex-émissaire américain en Ukraine, avait réfuté comme « pas crédible » l’idée selon laquelle Joe Biden ou son fils, Hunter, seraient mêlés à une affaire de corruption en Ukraine.

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L'ex-émissaire américain en Ukraine, Kurt Volker

Pourtant, le républicain Devin Nunes, n° 2 de la commission parlementaire qui procède aux auditions, ne cesse d’évoquer ces thèses, tout comme des personnalités conservatrices très en vue, à l’image du fils du président Donald Trump Jr ou du présentateur vedette de Fox News Sean Hannity. Des théories souvent relayées sur Twitter par le président lui-même.

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Le républicain Devin Nunes

Les auditions confirment, s’il était besoin, la large audience dont bénéficient désormais les idées complotistes.  

Si l'internet a constitué un terreau fertile pour leur développement depuis 20 ans, elles restaient jusqu’à récemment confinées aux marges. Avec l’élection de Donald Trump, elles ont désormais accès aux plus hautes sphères du pouvoir, soulignent plusieurs analystes.

Professeur de sciences politiques à l’université de Miami, Joseph Uscinski rappelle qu’avant Donald Trump, d’autres présidents américains ont épousé des thèses complotistes, notamment le républicain Richard Nixon, également visé par une procédure de destitution.

« Mais il n’en parlait pas très ouvertement », souligne-t-il. « Trump est à l’opposé. […] Il s’en sert pour motiver les gens qui sont un peu aux marges du parti républicain […] et pour écarter les critiques. Et il fait ça depuis qu’il a été élu ».

Les théories conspirationnistes ne sont pas nouvelles, du 11-Septembre au lieu de naissance de Barack Obama, en passant par la première mission habitée sur la Lune.

Mais selon Eric Oliver, professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago, de telles assertions se sont diffusées beaucoup plus largement chez les conservateurs américains avec la montée en puissance de la droite chrétienne depuis les années 70.

Au sein de ce mouvement, beaucoup d’électeurs pour qui l’intuition prime sur le savoir. « Ils croient souvent aussi au surnaturel et à l’Apocalypse, ce qui colle bien avec une vision conspirationniste » des choses.

Difficile de savoir quelle part représente aujourd’hui cette population au sein de la droite américaine. Pour Joseph Uscinski, rien ne montre que les théories du complot soient plus populaires aujourd’hui que ces dernières décennies.

Il y a quelques jours, Eric Oliver a réalisé un sondage qui a révélé, entre autres, que 18 % des personnes interrogées croyaient à la rumeur d’une implication de l’Ukraine dans le scrutin américain de 2016.

Démocratie en danger ?

Très à la mode depuis quelques années, le fact-checking journalistique a peu d’impact sur ces Américains, selon plusieurs observateurs. « Souvent », dit Eric Oliver, « quand on soumet aux gens des faits qui perturbent leurs croyances, ils les balayent et passent à autre chose ».

Joseph Uscinski voit aussi des traces de ce mouvement dans le camp démocrate, principalement chez les sympathisants de Bernie Sanders, pour qui « les 1 % les plus riches contrôlent la politique et l’économie, ce qui n’est pas vrai ».

Pour Jonathan Kay, auteur du livre Among the Truthers, « peu importe qu’on soit de droite ou de gauche ».

« Quiconque est envieux du pouvoir ou sent son pouvoir fragilisé est exposé aux théories conspirationnistes », dit-il, citant en exemple la littérature conspirationniste autour du 11-Septembre, qui trouve son origine à gauche. Les thèses complotistes « offrent aux gens une passerelle entre ce qu’ils voient et ce qu’ils croient », souligne-t-il.

Si ces analystes estiment que la nouvelle visibilité de ces théories complotistes ne risque guère de faire passer quiconque d’un camp à l’autre, ils s’inquiètent de ses conséquences sur le débat politique américain.  

« Les démocraties modernes reposent sur une forme de rationalité dans le discours », relève Eric Oliver. « Elles sont en danger quand ce discours est sapé par les démagogues et les théories complotistes ».

Pour Joseph Uscinski, le risque existe de voir le président fonder certaines de ses décisions sur ces fausses théories, ou d’inciter d’autres à s’en inspirer.

Jusqu’ici, Eric Oliver voyait cette ligne complotiste avant tout comme un instrument politique pour Donald Trump. Mais son insistance à voir l’Ukraine annoncer une enquête sur les Biden « me fait penser qu’il y croit vraiment ».