(New York) Dans le jargon politique américain, Gordon Sondland, personnage clé de l’affaire ukrainienne, a tenu le rôle de « bundler », sorte de donateur exponentiel, avant de devenir ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne (UE). Non seulement l’hôtelier multimillionnaire de l’Oregon donnait-il généreusement aux campagnes des candidats républicains à la présidence, mais il invitait également les plus riches de ses connaissances sur la côte Ouest à l’imiter à l’occasion de soirées de collecte de fonds dont il était l’organisateur.

Son activité incessante a profité à John McCain, Mitt Romney, George W. Bush et son frère Jeb. Or, après les attaques de Donald Trump contre les parents musulmans d’un soldat américain mort au combat, Gordon Sondland a retiré son appui au promoteur immobilier de New York, dont il disait ne pas partager les « valeurs ». Il a fini par se raviser. Et il a versé 1 million de dollars au comité organisateur de la cérémonie d’investiture du 45e président des États-Unis.

Comment expliquer pareil revirement ? Un mot suffit : ambition. Et cette ambition pourrait valoir à Gordon Sondland de connaître le même sort que deux hommes ayant menti au Congrès pour protéger Donald Trump. L’un – Michael Cohen, ex-avocat personnel du président – purge une peine de trois ans d’emprisonnement après avoir plaidé coupable à huit chefs d’accusation. L’autre – Roger Stone, confident de longue date du président – a été reconnu coupable jeudi de sept chefs d’accusation à l’issue d’un procès découlant de l’enquête russe de Robert Mueller.

Grand et chauve, Gordon Sondland doit participer mercredi au Congrès à l’audition publique la plus attendue de l’enquête en vue de destituer Donald Trump. Son témoignage pourrait l’obliger à choisir entre la nécessité de sauver sa peau ou celle du président. Et rien ne dit qu’il entend suivre l’exemple des Cohen et Stone.

« Détruire l’Union européenne »

Né à Seattle il y a 62 ans, ce fils de Juifs allemands ne s’attendait sans doute pas à se retrouver dans pareille situation en donnant 1 million de dollars pour célébrer l’entrée en fonction de Donald Trump. Selon plusieurs témoignages, cette généreuse contribution avait pour objectif de lui procurer ce que d’autres riches donateurs, dont certains de ses amis, avaient déjà obtenu : un poste d’ambassadeur.

Mais le premier directeur de cabinet de la Maison-Blanche sous Donald Trump, Reince Priebus, lui a barré la route. Il a fallu que ce dernier soit viré et que le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, une de ses connaissances, intervienne en sa faveur pour que son vœu soit enfin exaucé. En mai 2018, il a été nommé ambassadeur auprès de l’UE, poste qui n’avait pas encore été pourvu, signe du peu d’importance que lui accordait le président.

Dans son nouveau rôle, Gordon Sondland a d’ailleurs adopté l’approche méprisante de Donald Trump à l’égard de l’UE. Selon les confidences d’un responsable du Vieux Continent au New York Times, il a déclaré que son objectif était de « détruire l’Union européenne ».

En fait, cet homme jugé arrogant par ses critiques était prêt à tout pour démontrer sa loyauté au président. 

Trump semble avoir profité de cette attitude pour confier à Gordon Sondland un dossier important, celui de l’Ukraine, pays qui ne relève pas de l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’UE et au sujet duquel le diplomate néophyte n’avait aucune expertise.

Résultat : Gordon Sondland est aujourd’hui soupçonné d’avoir formulé, au nom de Donald Trump, une politique assimilable à de l’extorsion ou à du chantage auprès de responsables ukrainiens. L’ambassadeur a d’abord nié cette accusation. Lors d’une déposition à huis clos, il a notamment assuré qu’aucune contrepartie n’avait été exigée de l’Ukraine en échange du versement d’une aide militaire de 391 millions de dollars accordée par le Congrès américain.

Après les dépositions de diplomates et d’autres responsables américains affirmant le contraire, il a révisé cette déposition, disant se souvenir que tel avait été le cas. Mais il a oublié de corriger un autre détail important qui s’avère aussi incriminant pour lui que pour Donald Trump.

« Il aime ton cul »

Dans sa déposition originale, Gordon Sondland a reconnu avoir eu un entretien téléphonique avec Donald Trump le 26 juillet dernier après avoir rencontré le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev. Il a déclaré qu’il s’agissait d’un appel « de rien du tout ».

Or, deux diplomates américains – l’un en public, l’autre à huis clos – ont témoigné la semaine dernière que cette conversation n’avait rien de banal. David Holmes, conseiller politique à l’ambassade des États-Unis en Ukraine, se trouvait avec Gordon Sondland dans un restaurant de Kiev lorsque ce dernier s’est entretenu au téléphone avec Donald Trump. Le président parlait tellement fort que l’ambassadeur a tenu son portable loin de son oreille.

Lors d’une déposition à huis clos, David Holmes a dit avoir pu entendre le président déclarer à l’ambassadeur, en faisant allusion au président Zelensky : « Donc, il va faire l’enquête. » Selon Holmes, Sondland a répondu sur un ton très familier que Zelensky « aime ton cul » et « fera tout ce que tu lui demanderas ».

Après l’appel, Holmes dit avoir demandé à Sondland s’il était vrai que le président Trump ne s’intéressait pas à l’Ukraine et à sa guerre contre la Russie. Selon son témoignage, Sondland a répondu que le président s’intéressait aux « trucs importants », à savoir les choses qui peuvent lui profiter personnellement « comme l’enquête sur Biden », que Rudolph Giuliani, avocat personnel de Donald Trump, réclamait.

Cette conversation téléphonique tend à confirmer l’accusation centrale des démocrates : Donald Trump a utilisé la politique étrangère des États-Unis – et une aide militaire accordée par le Congrès – pour obtenir l’annonce par l’Ukraine d’une enquête susceptible de nuire au candidat potentiel du Parti démocrate à l’élection présidentielle de 2020.

S’il participe comme prévu à l’audition publique de mercredi au Congrès, Gordon Sondland n’aura pas seulement en tête le sort des Cohen et Stone. Il pensera aussi au fait qu’au moins une autre personne peut corroborer le témoignage de David Holmes. Peut-il se permettre de les contredire pour sauver la peau de Donald Trump ?