(Washington) Un diplomate américain a admis avoir conditionné une aide militaire destinée à l’Ukraine à l’ouverture d’une enquête sur un rival politique de Donald Trump, livrant aux démocrates un des témoignages les plus accablants à ce jour dans leur enquête pour destituer le président des États-Unis.

La toile d’auditions que les élus démocrates tissent depuis plus d’un mois à huis clos pour étayer leurs soupçons contre le milliardaire républicain a poussé l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, Gordon Sondland, à compléter son témoignage fait mi-octobre au Congrès.

Ce témoin-clé, soutien du président Trump dont il a financé la campagne, avait alors dit, sous serment, n’avoir «pas participé» à des actions visant à «geler de l’aide afin de faire pression» sur le gouvernement ukrainien – estimant même qu’une telle attitude serait «inappropriée» voire «illégale» si elle avait comme but «d’influencer une élection américaine».

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Gordon Sondland à son arrivée au Capitole le 17 octobre.

Or c’est là le cœur de la procédure d’impeachment : Donald Trump a-t-il suspendu une aide militaire promise à l’Ukraine afin de forcer la main à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu’il ordonne une enquête sur l’ancien vice-président américain Joe Biden, bien placé pour porter les couleurs démocrates dans la course à la Maison-Blanche l’an prochain?

Dans son appel controversé du 25 juillet, le président Trump demande au dirigeant ukrainien de se «pencher» sur le cas de Joe Biden et de son fils Hunter, alors membre du conseil d’administration du groupe gazier local Burisma.

«Je me souviens maintenant…»

Confronté aux récits d’autres hauts responsables déjà récoltés par la Chambre des représentants, Gordon Sondland a adressé lundi aux élus une déposition écrite, rendue publique mardi. Il y fait état d’une conversation du 1er septembre avec Andreï Yermak, un conseiller du président ukrainien, qu’il avait initialement passé sous silence.

«Je me souviens maintenant avoir parlé, en aparté, avec Yermak pour lui dire que la reprise de l’aide américaine n’arriverait sans doute pas jusqu’à ce que l’Ukraine fournisse une déclaration publique contre la corruption dont nous parlions depuis de nombreuses semaines», a-t-il précisé.

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Volodymyr Zelensky et Donald Trump se sont rencontrés à New York fin septembre.

Cette déclaration anticorruption que Washington réclamait de Kiev, et plus précisément du président Zelensky, revient à plusieurs reprises dans des textos échangés par les principaux acteurs de la politique ukrainienne des États-Unis, qui sont déjà entre les mains du Congrès.

Dans une nouvelle salve de textos divulgués mardi, on apprend que les diplomates américains, dont Gordon Sondland, insistaient pour que la déclaration ukrainienne mentionne spécifiquement, parmi les cibles des enquêtes, l’entreprise Burisma, et de vieux soupçons qui circulent dans les milieux trumpistes, jusqu’ici jamais étayés, selon lesquels des Ukrainiens se sont ingérés dans la présidentielle américaine de 2016 au détriment du candidat républicain.

Dans une autre audition dont la transcription a aussi été rendue publique mardi, l’ex-émissaire américain pour l’Ukraine Kurt Volker, qui a démissionné au début du scandale, assure que c’est Rudy Giuliani, l’avocat personnel de Donald Trump, qui a imposé ces deux sujets explosifs.

Rôle trouble de Giuliani

«Giuliani était intéressé par Biden», a-t-il dit aux élus, tout en assurant avoir personnellement «résisté» à ce que l’ancien vice-président, «une personne intègre», soit sali.

En tentant de démontrer un «abus de pouvoir» de la part du président, les démocrates ont à ce stade mis au jour, à tout le moins, un fonctionnement troublant de la politique ukrainienne de Washington où l’avocat personnel de Donald Trump joue un rôle incontournable, à la demande de l’ex-homme d’affaires et au grand dam des diplomates de carrière.

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Rudy Giuliani

Avec la publication de premières transcriptions d’auditions à huis clos, l’enquête vient d’entrer dans une nouvelle phase, qui devrait donner lieu à des témoignages retransmis à la télévision. Les démocrates, qui contrôlent la Chambre des représentants chargée des investigations, espèrent que cela fera basculer l’opinion populaire en faveur d’une destitution, permettant peut-être ainsi de forcer le verrou républicain du Sénat, qui aura le dernier mot.

En attendant, ils continuent de faire monter la pression sur la Maison-Blanche, en convoquant pour vendredi le directeur de cabinet de Donald Trump. Mick Mulvaney est le plus haut responsable de la présidence prié de venir témoigner.

Il est surtout celui qui avait reconnu pour la première fois, mi-octobre, que le président américain avait lié l’aide militaire à l’Ukraine à des considérations de politique intérieure, avant de rétropédaler.

Il est peu probable que Mick Mulvaney réponde à la convocation, la Maison-Blanche refusant de coopérer avec ce qu’elle considère être une «mascarade».

Les éléments rendus publics mardi «montrent qu’il y a encore moins de preuves pour cette imposture illégitime qu’on le pensait auparavant», a réagi la présidence.