(Washington) Un employeur a-t-il le droit de licencier un salarié parce qu’il est homosexuel ou transgenre? Les neuf juges de la Cour suprême ont semblé très divisés mardi sur la réponse à apporter à cette question ultra-sensible.

«C’est un enjeu tellement important : nous parlons de millions et millions de personnes qui vont au travail tous les jours en ayant peur d’être virées», a déclaré l’un des plaignants, Gerald Bostock, sur le parvis de la Cour.

Employé pendant 10 ans comme travailleur social en Georgie, il avait été remercié en 2013 quelques mois après avoir rejoint une équipe sportive gaie.  

Une cour d’appel avait validé son licenciement, jugeant que la loi fédérale de 1964 interdisant les discriminations «en raison du sexe» ne s’appliquait pas à l’orientation sexuelle.

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Pendant toute l’audience, des défenseurs des minorités sexuelles ont scandé des slogans devant la Cour pour réclamer une égalité de traitement.

Saisi du dossier de Donald Zarda, un moniteur de parachute licencié après avoir révélé son homosexualité, un autre tribunal avait au contraire estimé que ce dispositif protégeait bien les gais et les lesbiennes.

La plus haute juridiction des États-Unis n’avait pas d’autres choix que d’intervenir pour clarifier la jurisprudence. Au passage, elle a décidé d’entendre, pour la première fois de son histoire, le dossier d’une personne transgenre.

Aimee Stephens, née avec un sexe masculin, a travaillé pendant six ans dans un funérarium de Detroit avant d’annoncer à son patron qu’elle avait engagé sa transition vers le sexe féminin et qu’elle souhaitait changer d’uniforme. Son patron Thomas Rost l’avait alors licenciée.  

Ce fut «un choix difficile », a expliqué cet employeur mardi à l’extérieur de la haute Cour. «C’était dans l’intérêt des familles que mon entreprise sert», a ajouté celui qui se définit comme un «chrétien fervent».

«Ridicule»

Pendant toute l’audience, des défenseurs des minorités sexuelles ont scandé des slogans devant la Cour pour réclamer une égalité de traitement. «En 2019, c’est vraiment ridicule » d’en être là, a déclaré Karen Holmes, une militante transgenre de 62 ans.

«C’est pour tout ces gens que je me bats», a déclaré Aimee Stephens, qui se déplace en fauteuil roulant en raison d’une insuffisance rénale très invalidante.

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Aimee Stephens et sa femme Donna Stephens.

À l’intérieur, les débats ont vite fait apparaître deux camps. D’un côté les quatre magistrats progressistes ont semblé favorables à interpréter la loi de 1964 dans un sens extensif.

Si un employé «fait bien son travail, n’embête personne, […] ne fait rien de blessant, je ne vois pas pourquoi cela poserait problème», a ainsi déclaré la juge Sonia Sotomayor.

Les magistrats conservateurs, majoritaires depuis la nomination de deux juges choisis par Donald Trump, ont semblé plus enclins à suivre la position du gouvernement républicain, qui a pris partie en faveur des employeurs.

«Le sexe veut dire masculin ou féminin, pas gai ou hétéro», a plaidé son représentant Noel Francisco, en ajoutant qu’il revenait au Congrès de faire évoluer la loi de 1964 pas à la justice.

Le juge conservateur Samuel Alito a abondé en son sens. «Qu’est-ce que les gens vont dire de nous si on vous donne raison?» a-t-il demandé à l’avocate de MM. Bostock et Zarda. Ils diront «que nous nous comportons comme le pouvoir législatif!».

C’est pourtant cette Cour qui a légalisé l’avortement dans tous les États-Unis et étendu le mariage aux personnes de même sexe.  

200 entreprises

L’avocat David Cole de la puissante association de défense des droits civiques ACLU, qui défendait Aimee Stephens, a souligné qu’elle « ne demandait pas de traitement de faveur » mais « juste les mêmes droits que tout le monde ».

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L'ancien patron d'Aimee Stephens, Thomas Rost, est le propriétaire du R.G. & G.R. Harris Funeral Homes.

Seuls une vingtaine d’États interdisent formellement de discriminer les minorités sexuelles dans la sphère professionnelle. Si la Cour devait interpréter la loi de 1964 dans un sens restreint, elles n’auraient plus de protection dans plus de la moitié des États-Unis.

En amont de l’audience, elles avaient reçu le soutien de nombreuses associations, d’élus démocrates ainsi qu’environ 200 grandes entreprises dont Apple, General Motors et Walt Disney.

Les employeurs ont de leur côté été soutenus par les milieux religieux, notamment catholiques et évangéliques.  

L’arrêt de la Cour devrait tomber en 2020, en pleine campagne présidentielle, et aura valeur de test pour la haute Cour et les juges nommés par Donald Trump.

Depuis la légalisation du mariage pour tous en 2015, le magistrat centriste Anthony Kennedy, qui a fait beaucoup pour les droits des homosexuels, a été remplacé par le conservateur Brett Kavanaugh, dont les positions sur cette question restent largement inconnues.