Le 23 juillet 2019, à la veille de l’audition de l’ancien procureur spécial Robert Mueller devant le Congrès, Donald Trump a offert une leçon de droit constitutionnel à un groupe de jeunes conservateurs.

Après avoir dénoncé la durée et le coût de l’enquête russe, le président a déclaré que l’article II de la Constitution américaine lui donnait « le droit de faire tout ce [qu’il veut] en tant que président ».

« Mais je ne parle même pas de ça », a-t-il ajouté en précisant que le rapport de Robert Mueller l’avait disculpé de l’accusation de « collusion ».

En fait, il parlait de « ça » pour la énième fois depuis le printemps.

« L’article II me permet de faire tout ce que je veux », a-t-il confié au journaliste d’ABC George Stephanopoulos le 16 juin. « L’article II m’aurait permis de congédier [Robert Mueller]. »

« Et jetez un coup d’œil à une autre chose. C’est une chose qui s’appelle l’article II », a-t-il dit à un groupe de journalistes, le 12 juillet. « Ça me donne tous les droits à un niveau que personne n’a jamais encore vu. »

Au cours de la même période, il a également soulevé le sujet lors d’interviews accordées au magazine Time et à son bon ami de Fox News Sean Hannity, entre autres.

Et c’est peut-être en pensant à l’article II de la Constitution américaine que Donald Trump s’est cru autorisé à solliciter l’interférence d’un pays étranger, en l’occurrence l’Ukraine, dans les élections américaines de 2020, lors d’un appel téléphonique survenu au lendemain de l’audition de Robert Mueller devant le Congrès.

C’est peut-être aussi en s’appuyant sur son interprétation de ce même article qu’il a bloqué de façon unilatérale une aide de 391 millions US accordée par le Congrès à l’Ukraine.

Contre toute velléité monarchique

Mais quel est donc cet article II de la Constitution qui donnerait au président le droit de faire tout ce qu’il veut ? En un mot comme en mille, cet article, tel qu’interprété par Donald Trump, n’existe pas.

Comme tous les écoliers américains l’apprennent, les pères fondateurs des États-Unis ont misé sur le concept de la séparation des pouvoirs et sur le système des poids et contrepoids pour combattre toute velléité monarchique de la part des dirigeants de leur jeune république.

L’article II de la Constitution confère ainsi au président « le pouvoir exécutif », tout en prévoyant sa destitution « sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».

Ce bout de l’article II aurait-il échappé à Donald Trump ?

Chose certaine, les pères fondateurs ont cru important de l’insérer dans la Constitution pour permettre au Congrès d’écarter du pouvoir un président qui commettrait une ou des transgressions « avec l’intention sinistre de porter atteinte à la république pour en tirer un gain personnel », écrit l’historien Jeffrey Engel dans l’introduction d’un ouvrage publié en 2018 et intitulé Impeachment : An American History.

Dans l’esprit des pères fondateurs, la transgression pouvait être de nature politique et non criminelle. En fait, pour reprendre la formule énoncée par le futur président Gerald Ford en 1970, soit bien avant l’affaire du Watergate : « Est matière à une procédure de destitution tout ce qui sera considéré comme tel par une majorité de la Chambre des représentants à un moment donné de l’histoire. »

Quatre ans plus tard, ce même Ford succédait à Richard Nixon, qui choisit la démission plutôt que d’affronter une procédure de destitution. Quelques jours plus tôt, la publication des enregistrements de la Maison-Blanche avait prouvé qu’il avait fait appel au FBI et à la CIA pour cacher les liens entre son comité de réélection et les cambrioleurs du Watergate, où se trouvait le siège du Parti démocrate.

Au diable les conséquences

De nombreux représentants démocrates estiment que le rapport de Robert Mueller aurait déjà dû convaincre la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, de donner le feu vert à une procédure de destitution contre Donald Trump. Selon eux, le document prouve que le président s’est rendu coupable d’entrave à la justice.

Mais la représentante de Californie a longtemps résisté aux appels à la destitution du président. Elle a répété qu’une telle procédure était susceptible de déchirer le pays et de contribuer à la réélection de Donald Trump.

Aujourd’hui, elle dit que le président ne lui a pas laissé le choix. Et elle affirme ne pas se préoccuper des conséquences politiques d’une éventuelle procédure de destitution.

« Personne n’est au-dessus des lois », a-t-elle déclaré mardi dernier.

La présidente de la Chambre a fait cette déclaration à la veille de la publication de la retranscription de la conversation téléphonique du 25 juillet dernier entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky.

« On parle beaucoup du fils de Biden et du fait que Biden ait arrêté l’enquête, et beaucoup de gens veulent en savoir plus sur le sujet, donc cela serait formidable si vous pouviez vous pencher là-dessus », a dit le président américain à son homologue ukrainien en le priant de travailler en concert avec son avocat personnel, Rudolph Giuliani, et le procureur général des États-Unis, Bill Barr.

Il n’est pas dit que ce même Barr ne soit pas à l’origine de la confusion de Donald Trump concernant l’article II de la Constitution. À l’instar de certains conservateurs, dont Dick Cheney, le procureur général est un adepte de la théorie de l’exécutif unitaire. Sous sa forme extrême, cette théorie peut signifier que ni le Congrès ni les tribunaux ne peuvent dire au président quoi faire ou comment le faire.

On pourrait penser qu’un président américain doit être un peu fou pour adhérer à une telle théorie. Ou se prendre pour un roi.