N’en déplaise à Donald Trump, ce sont les trop nombreuses armes en circulation aux États-Unis et la facilité avec laquelle on peut se les procurer qui expliquent l’épidémie de tueries qui y déferle, selon les chercheurs. La mauvaise nouvelle est que les événements d’El Paso et de Dayton inciteront sans doute les Américains à s’armer davantage, perpétuant un funeste cercle vicieux. Voici cinq points scientifiques sur ces tragédies.

Ignorance

Jeux vidéo, maladie mentale, lois trop souples, alouette : si on cherche encore les causes des tueries qui frappent les États-Unis, c’est en partie parce que le sujet y est peu étudié. Il ne s’agit pas d’un manque de curiosité des chercheurs, mais d’une décision politique. Sous la pression de la National Rifle Association, le Congrès américain a interdit aux Centers for Disease Control et aux National Institutes of Health de financer toute recherche qui « prône le contrôle des armes à feu ou en fait la promotion ». Ambiguë, la consigne a pratiquement supprimé les subventions publiques à la recherche sur les armes à feu. Aujourd’hui, seules de rares fondations privées financent de telles recherches aux États-Unis. « Considérant l’ampleur du problème, on fait très peu de recherche. Il y a 100 choses qu’on devrait mieux comprendre », a dit à La Presse David Hemenway, directeur du Centre de recherche sur le contrôle des blessures de l’Université Harvard, qui évoque notamment le manque criant de données sur le vol d’armes.

Maladie mentale

« La maladie mentale et la haine ont tiré sur la gâchette. Pas le fusil », a affirmé Donald Trump, hier. Ceux qui tuent massivement des inconnus souffrent-ils de maladie mentale ? On entre ici en pleine controverse scientifique. La proportion de tueurs souffrant de maladie mentale varie grandement d’une étude à l’autre en fonction des tueries considérées, des symptômes inclus et du fait de comptabiliser les diagnostics officiels ou les « signes » de maladie mentale. En prenant un échantillon de 63 tueurs, le FBI a montré que 25 % d’entre eux avaient déjà reçu un diagnostic formel (trouble de l’humeur, de l’anxiété ou de la personnalité ou désordre psychotique) avant de passer à l’acte. Le président de l’Association américaine de psychologie a dénoncé dimanche l’association entre maladie mentale et tueries, affirmant qu’elle est « non fondée et conduit à la stigmatisation ». S’il semble que la maladie mentale peut jouer un rôle dans au moins une partie des tueries, rappelons qu’une immense majorité de personnes souffrant de maladie mentale est non violente (les gens touchés sont en fait trois fois plus susceptibles de subir la violence que de la perpétrer).

Jeux vidéo

Les jeux vidéo violents poussent-ils à la violence, comme l’a affirmé hier Donald Trump ? La thèse refait surface régulièrement depuis la tuerie de Columbine, en 1999, mais elle s’appuie sur peu de bases solides. Le chercheur David Hemenway, de l’Université Harvard, laisse échapper un rire lorsqu’on évoque l’hypothèse. « Les gens jouent à des jeux vidéo au Japon, en Angleterre, chez vous au Canada. Pourtant, le taux de violence par armes à feu est beaucoup plus élevé ici », fait-il observer.

Accès aux armes

Pour le professeur Hemenway, il est temps d’arrêter de chercher midi à quatorze heures. « Le facteur qui distingue les États-Unis des autres pays développés et qui nous conduit à être une aberration statistique en matière de violence par armes à feu, ce sont les armes à feu. Il n’y a même pas matière à discussion », tranche-t-il, soulignant à quel point il est facile de se procurer des armes aux États-Unis. Selon le site web GunPolicy.org, il y a carrément plus d’armes civiles en circulation aux États-Unis qu’il y a d’habitants (120 armes par 100 habitants), une situation unique au monde. Le Yémen, avec 53 armes à feu par 100 personnes, est en deuxième place, alors qu’on en compte 35 par 100 habitants au Canada. Une revue de la littérature menée par l’Université Harvard conclut que le nombre de meurtres et de suicides par arme à feu augmente avec le nombre d’armes à feu. Si l’équation peut paraître évidente, elle va à l’encontre de plusieurs discours entendus aux États-Unis, selon lesquels les armes à feu permettent de se protéger et découragent la violence.

Cercle vicieux

S’il est sain que la société américaine s’interroge sur ses tueries, leur médiatisation a des effets collatéraux. « Il y a un effet de contagion : les tueries peuvent en provoquer d’autres », souligne le professeur David Hemenway, qui incite les médias à ne pas « glorifier » le tueur. L’autre phénomène est qu’il est démontré que les tueries poussent les Américains à s’armer. D’abord parce qu’elles créent un sentiment d’insécurité, ensuite parce qu’elles font craindre un resserrement des lois sur les armes à feu, ce qui amène les citoyens à filer vers le magasin d’armes le plus près avant que les règles ne changent. Bref, plus d’armes conduisent à plus de tueries, qui conduisent à plus d’armes. Voilà le cercle vicieux dans lequel sont pris les États-Unis.