(New York) « Les hommes de peu de mots sont les meilleurs », écrivait William Shakespeare à une autre époque. Les démocrates du Congrès ont sans doute une autre opinion sur le sujet après l’audition de Robert Mueller hier devant deux commissions de la Chambre des représentants.

Ils espéraient que l’ancien procureur spécial donne vie à son rapport sur l’affaire russe afin de mieux faire connaître ses conclusions au grand public. Or, par ses réponses souvent laconiques, hésitantes ou imprécises, le témoin de 74 ans a réussi l’exploit d’être encore moins éloquent que son document dense et aride de 448 pages.

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Robert Mueller face à un contingent de photographes

« Je vous renvoie au rapport », a déclaré Robert Mueller à maintes reprises aux représentants démocrates ou républicains qui tentaient de lui arracher quelques mots.

« Pouvez-vous répéter la question ? », a-t-il également demandé plusieurs fois à ses interlocuteurs, l’air parfois confus et la voix légèrement tremblante, surtout durant la première partie de son audition, qui a duré environ six heures.

Soupçonné d’entrave à la justice, Donald Trump a suivi à la Maison-Blanche l’audition avec une irritation qui s’est muée en euphorie, selon des membres de son entourage. En fin d’après-midi, il a plastronné devant les journalistes avant de s’envoler pour la Virginie-Occidentale, où il devait participer à une activité de collecte de fonds.

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Donald Trump, président des États-Unis

« Je pense que nous avons eu une très bonne journée [hier] », a-t-il déclaré en faisant allusion aux réactions largement négatives à l’audition de Robert Mueller. « Ce fut une très grande journée pour notre pays. Ce fut une très grande journée pour le Parti républicain. Et vous pouvez dire que ce fut une grande journée pour moi, mais je n’aime même pas dire ça », a-t-il ajouté en qualifiant de nouveau l’affaire russe de « canular » et de « chasse aux sorcières ».

Des munitions pour l’impeachment

N’empêche : le témoignage attendu de Robert Mueller pourrait fournir des munitions aux partisans d’une procédure de destitution (impeachment) contre Donald Trump, et ce, même si l’état-major démocrate de la Chambre n’est pas prêt à s’engager dans cette voie.

D’entrée, l’ancien procureur spécial a contredit le président en répondant de façon lapidaire aux questions de Jerrold Nadler, président de la commission judiciaire de la Chambre.

« Le rapport n’a pas conclu qu’il n’avait pas fait entrave à la justice, est-ce exact ? a demandé le représentant de New York.

— C’est exact, a répondu le témoin.

— Qu’en est-il de la disculpation totale ? Avez-vous complètement disculpé le président ?

— Non. »

Robert Mueller a plus tard confirmé que Donald Trump pourrait être inculpé pour entrave à la justice après sa présidence. 

Il a également suscité un enthousiasme éphémère chez les adversaires de Donald Trump en affirmant que ce dernier n’avait pas été inculpé en raison de la politique du département de la Justice selon laquelle un président en exercice ne peut l’être.

« Sur la base de [cette politique] et du principe d’équité, nous avons décidé que nous ne dirions pas si le président avait commis un délit », a-t-il nuancé plus tard devant la commission du Renseignement de la Chambre.

En réponse à des questions d’Adam Schiff, président de cette commission, Robert Mueller a également contredit le président sur la nature de l’enquête russe.

« Ce n’est pas une chasse aux sorcières » ni un « canular », a-t-il dit.

Robert Mueller a précisé que Donald Trump et les responsables de sa campagne présidentielle avaient « construit leur stratégie et leur message autour » du piratage par des agents russes de courriels démocrates et de leur diffusion par WikiLeaks.

Interrogé par un représentant démocrate pour savoir s’il trouvait problématiques les gazouillis enthousiastes de Donald Trump concernant le rôle de WikiLeaks dans la diffusion des courriels volés, Robert Mueller a répondu : « Problématique est un euphémisme. »

Des attaques sans réponses

Les représentants républicains ont consacré le gros de leurs efforts à attaquer l’intégrité de Robert Mueller et des membres de son équipe. Ils ont aussi cherché à mettre en cause les origines de l’enquête russe, y voyant une opération politique destinée à nuire au futur président républicain.

L’ancien procureur fédéral a encaissé plusieurs des attaques sans même tenter d’y répondre. Le représentant de Géorgie Doug Collins, numéro un des républicains au sein de la commission judiciaire de la Chambre, l’a notamment fait trébucher sur la question de la « collusion ».

En réponse à une question d’un démocrate, Robert Mueller avait déclaré que cette expression n’avait aucune valeur juridique à ses yeux. Il laissait donc entendre que le président avait tort de dire que son rapport le disculpait de l’accusation de « collusion ». Or, Doug Collins lui a fait admettre que ce mot était décrit comme un synonyme de « complot » dans son propre rapport.

Robert Mueller s’est exprimé avec plus de conviction au cours de la deuxième partie de son audition. Il a notamment défendu l’impartialité politique des membres de son équipe.

« Cela fait 25 ans que je fais ce travail et, pendant ces 25 ans, je n’ai pas eu l’occasion de demander à quelqu’un son affiliation politique. Ce qui m’intéresse, c’est la capacité de cet individu à faire son travail, rapidement, sérieusement et avec intégrité », a-t-il dit.

L’ancien procureur spécial a aussi lancé un avertissement concernant l’ingérence russe au cours de la prochaine élection présidentielle américaine.

« Ils y travaillent pendant que nous sommes assis ici », a-t-il dit.