(Washington) Vétéran de la politique américaine, Joe Biden est rattrapé par ses positions sur la ségrégation raciale, un sujet ultrasensible aux États-Unis, qui pourrait menacer ses chances dans la course à la Maison-Blanche.

Lors du deuxième grand débat jeudi entre les candidats à l’investiture démocrate pour la présidentielle de 2020, il a été interpellé par la sénatrice noire Kamala Harris.

Elle l’a notamment accusé de s’être opposé à la politique gouvernementale de « busing », qui obligeait les villes à transporter en bus les enfants des quartiers noirs et pauvres jusque dans des écoles à majorité blanche et plus réputées dans les années 1970, alors qu’il était jeune sénateur du Delaware.

« Il y avait une petite fille en Californie qui appartenait à la deuxième génération à aller dans son école publique, en bus, chaque jour. Cette petite fille, c’était moi », a lancé l’élue de Californie au candidat centriste, qui domine les sondages.

L’intervention a fait mouche. L’ancien vice-président, qui souligne à l’envi ses huit ans passés aux côtés de Barack Obama, a démenti les accusations et, la mine fermée, défendu son bilan dans la lutte pour l’égalité des droits.

« Je ne me suis pas opposé au “busing” en Amérique », a-t-il répété après le débat. Il a expliqué qu’il était à l’époque contre ce système « ordonné par le ministère de l’Éducation » et qui devait, selon lui, être réglé au niveau local.

Parce que le système scolaire était principalement financé par les impôts fonciers, les écoles des zones pauvres souffraient d’un manque d’infrastructures et les enseignants étaient moins bien payés.

Mais de nombreux habitants des quartiers blancs et leurs élus dénonçaient parfois avec violence cette obligation qui selon eux, faisait baisser la qualité de l’enseignement.

D’abord favorable à cette politique en entrant au Sénat en 1973, Joe Biden avait changé d’avis alors que le mouvement d’opposition atteignait le Delaware.  

Un « désastre progressiste »

Selon lui, le « busing » était nécessaire pour lutter contre la « ségrégation de droit », comme dans les États du sud où les réglementations faisaient survivre les inégalités raciales malgré la législation de 1964 sur les droits civiques. Mais pas pour la « ségrégation de fait » dans les villes du Nord.

En 1975, il avait ainsi soutenu la proposition d’un élu favorable à la ségrégation. Celle-ci supprimait notamment l’obligation pour les établissements scolaires de noter l’origine ethnique des élèves, ce qui éliminait la menace de perte de subventions publiques pour ceux qui pratiquaient la ségrégation. Le texte avait finalement été retoqué.

M. Biden avait alors proposé un texte disposant que les fonds fédéraux ne pouvaient servir aux écoles pour « assigner des enseignants ou des élèves […] en raison de leur race ».

Il affirmait refuser qu’un « bureaucrate sans visage » décide de l’avenir d’un enfant, « blanc ou noir ».

Le jeune sénateur estimait dans un entretien à la presse que « la déségrégation est différente de l’intégration ».

Dans ses mémoires, publiés en 2007, il qualifie le système de transport scolaire de « désastre progressiste ». Cette mesure qui avait « divisé les gens » dans son État du Delaware forçait aussi les élèves à faire de longs trajets, et les enseignants à accepter des baisses de salaire.

Depuis jeudi soir, son équipe de campagne tente de déminer le terrain, estimant que le commentaire de Kamala Harris est un « coup bas ».

« Je sais que je me suis battu de toutes mes forces pour m’assurer que le droit de vote, les droits civiques, soient appliqués partout », a pour sa part assuré vendredi le candidat devant un auditoire majoritairement noir à Chicago.

« Je suis surpris qu’il n’ait pas admis avoir eu tort […] C’était une grave erreur », a dit à l’AFP Jason Sokol, professeur d’Histoire à l’Université du New Hampshire, auteur d’un article sur les positions de M. Biden en 2015 pour le site d’informations Politico. « Tant qu’il essaie d’esquiver ou de mettre la question de côté, elle continuera à le hanter ».

Reste à savoir si la polémique peut lui faire perdre la sympathie de l’électorat noir, où il bénéficie d’une forte popularité. Selon certains experts, l’important reste que le premier président noir des États-Unis l’ait choisi comme numéro deux.