(New York) Que les démocrates se le tiennent pour dit. S’ils ne lancent pas une procédure de destitution contre Donald Trump, ils augmenteront de façon importante ses chances d’être réélu à la présidence.

Et qui le dit ? L’historien Allan Lichtman, qui a prédit l’élection inattendue du promoteur immobilier de New York en 2016 à l’aide de ses « 13 clés de la Maison-Blanche », célèbre formule de pronostic qui s’est montrée infaillible lors des neuf dernières élections présidentielles.

Le professeur de l’American University à Washington lance cet avertissement au moment où les appels à la destitution de Donald Trump se multiplient chez les démocrates. Appels auxquels le procureur spécial chargé de l’enquête russe, Robert Mueller, a contribué mercredi dernier. Après avoir rappelé qu’il n’avait pas disculpé le chef de la Maison-Blanche sur la question de l’entrave à la justice, il a laissé tomber cette phrase lourde de sens : « La Constitution exige une procédure distincte de celle prévue par le système de justice pénale pour accuser formellement d’actes répréhensibles un président en fonction. »

L’avertissement d’Allan Lichtman tranche évidemment avec la position des dirigeants démocrates de la Chambre des représentants. Ceux-ci ont le pouvoir de lancer la procédure de destitution, dont la première phase peut prendre fin sur la mise en accusation (impeachment) du président par la Chambre. Mais ils sont réticents à en faire usage, craignant que l’issue prévisible de la deuxième phase de la procédure – un verdict d’acquittement rendu par un Sénat à majorité républicaine – ne renforce le président et ne nuise à leurs chances de le battre en 2020.

Raisonnement qu’Allan Lichtman rejette du revers de la main.

« Trump se dit déjà disculpé et je ne pense pas qu’un acquittement fondé sur des votes républicains au Sénat l’aiderait beaucoup. Ce qui est beaucoup plus important, cependant, ce sont les étapes de la procédure de destitution qui précéderaient un vote au Sénat. » — Allan Lichtman, en entrevue avec La Presse

Il faut faire ici une pause pour souligner qu’Allan Lichtman n’a pas encore annoncé son pronostic final pour l’élection de 2020. Suffit de savoir que Donald Trump est en bonne position, n’ayant perdu que trois des « 13 clés de la Maison-Blanche » (voir à la fin du texte pour la liste des clés qui reposent sur des concepts généraux comme la situation économique ou le climat social). Si le 45e président limite ses pertes à cinq clés, il sera réélu, à en croire la formule de l’historien.

Bien sûr, des événements imprévus pourraient changer la donne au cours des prochains mois. Mais Allan Lichtman estime qu’une procédure de destitution est peut-être l’unique façon par laquelle les démocrates pourraient priver Donald Trump d’un nombre suffisant de « clés » pour rester à la Maison-Blanche.

On est certes loin des arguments en faveur d’une procédure de destitution présentés par plusieurs militants, élus et candidats démocrates à la présidence. Ceux-ci ne se soucient pas des pronostics électoraux, des calculs politiques et encore moins des sondages indiquant que la procédure de destitution du président ne récolte pas l’appui d’une majorité des Américains. Ils estiment que le Congrès ne peut se dérober à ses responsabilités constitutionnelles.

« Défendre l’État de droit »

David Cicilline, représentant démocrate du Rhode Island, a exprimé ainsi l’opinion de plusieurs démocrates le mois dernier : « Nous devons défendre l’État de droit dans ce pays et démontrer que vous ne pouvez pas piétiner la Constitution, saper l’État de droit et espérer que le Congrès des États-Unis l’accepte. »

Mais la façon dont Allan Lichtman décrit le déroulement d’une éventuelle procédure de destitution devrait plaire aux démocrates les plus idéalistes.

« La Chambre recueillerait des preuves sur toutes les allégations sérieuses contre le président. Celles-ci ne se limiteraient pas à l’entrave à la justice, qui frappe au cœur de notre système judiciaire selon Robert Mueller », a expliqué le professeur émérite avant de dresser une longue liste de délits qui pourraient faire l’objet d’une enquête : violation de la loi sur le financement électoral, violation de la clause constitutionnelle sur les émoluments, outrage au Congrès, abus de pouvoir, crimes financiers, compromission à l’égard des Russes.

« La commission judiciaire de la Chambre tiendrait des auditions publiques comme au temps du Watergate, présentant les accusations contre le président directement au peuple américain. » — L’historien Allan Lichtman, en entrevue avec La Presse

Suivraient l’adoption par la Chambre des articles de mise en accusation et le procès devant le Sénat, où les procureurs choisis par la Chambre pourraient interroger des témoins, présenter des documents et contre-interroger les témoins du président.

« À la fin de la procédure, si les preuves contre le président sont solides, cela n’importerait probablement pas beaucoup qu’il ne soit pas reconnu coupable », a soutenu Allan Lichtman.

La présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, préfère pour le moment que les diverses commissions dirigées par les démocrates mènent leurs enquêtes en dehors d’une procédure officielle de destitution. Elle répète souvent que Donald Trump souhaite voir les démocrates emprunter la voie de l’impeachment.

Le hic, c’est que le président refuse systématiquement d’obéir aux assignations de ces commissions, problème que pourrait résoudre une procédure formelle de destitution. Et puis il y a une leçon de l’histoire que les démocrates ne sauraient ignorer, selon Allan Lichtman.

« Avant les révélations publiques sur les délits de Richard Nixon, sa cote d’approbation se situait à 67 % et le public était opposé à sa destitution. Après les révélations, sa cote a plongé à 25 % et le peuple américain voulait sa destitution », a-t-il dit.

Les 13 clés de la Maison-Blanche

Selon la formule d’Allan Lichtman, si cinq des déclarations suivantes ou moins sont fausses, le parti sortant (dans ce cas-ci, les républicains) remporte l’élection présidentielle.

1. Après les élections de mi-mandat, le parti sortant détient plus de sièges à la Chambre des représentants qu’il n’en détenait après les élections de mi-mandat précédentes. FAUX

2. Il n’existe pas de rivalité sérieuse pour l’investiture du parti sortant. VRAI

3. Le candidat du parti sortant est le président sortant. VRAI

4. Il n’existe pas de campagne électorale sérieuse d’un parti tiers ou d’un candidat indépendant. VRAI

5. L’économie n’est pas en état de récession pendant la campagne électorale. VRAI

6. La croissance économique par habitant en valeur réelle durant le mandat qui s’achève égale ou dépasse la croissance moyenne durant les deux mandats précédents. VRAI

7. Le gouvernement sortant apporte des modifications majeures à la politique nationale. VRAI

8. Il n’y a pas d’agitation sociale soutenue pendant le mandat qui s’achève. VRAI

9. Le gouvernement sortant n’est pas ébranlé par un scandale majeur. VRAI

10. Le gouvernement sortant ne subit pas d’échec majeur sur le plan militaire ou des affaires étrangères. VRAI

11. Le gouvernement sortant connaît un succès majeur sur le plan militaire ou des affaires étrangères. FAUX

12. Le candidat du parti sortant est charismatique ou est un héros national. FAUX

13. Le candidat du parti de l’opposition n’est ni charismatique ni un héros national. VRAI

Allan Lichtman affirme que la procédure de destitution correspondrait à la définition d’un scandale majeur et ferait perdre à Donald Trump une clé. La procédure pourrait également inciter un républicain d’envergure à contester l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2020 ou une autre personnalité conservatrice à faire campagne à titre d’indépendant. L’état de l’économie et l’identité du candidat démocrate font également partie des données susceptibles de changer.