(New York) Robert Mueller n’a rien dit hier, ou presque, qu’il n’avait pas écrit dans son rapport de 448 pages sur l’affaire russe. Mais, en s’exprimant pour la première fois en public sur son enquête, il a provoqué une secousse qui pourrait entraîner Washington vers une procédure de destitution contre Donald Trump.

Lors d’une déclaration de dix minutes faite au siège du département de la Justice, le procureur spécial est revenu sur deux points clés de son rapport. Il a d’abord rappelé de façon claire et limpide qu’il n’avait pas disculpé le président Trump de l’accusation d’entrave à la justice, l’un des deux volets de son enquête.

« Si nous avions eu la certitude que le président n’avait manifestement pas commis de crime, nous l’aurions dit », a déclaré Robert Mueller, dont le rapport détaille plusieurs épisodes renforçant les soupçons d’entrave à la justice.

Il a cependant précisé que l’inculpation du président n’était pas « une option », et ce, en raison d’une « politique de longue date » du département de la Justice.

« Un président ne peut être poursuivi pour une infraction fédérale tant qu’il est en fonction. C’est anticonstitutionnel. » — Le procureur spécial Robert Mueller, qui parlait en public pour la première fois depuis sa nomination au poste de procureur spécial, en mai 2017

Autrement dit, Donald Trump aurait vraisemblablement été inculpé d’entrave à la justice s’il n’était pas le locataire de la Maison-Blanche.

La déclaration de Robert Mueller semble contredire les propos de son patron, William Barr, sur au moins deux points importants. Avant de rendre public le rapport expurgé du procureur spécial, le procureur général avait laissé entendre que la politique du département de la Justice n’avait pas joué un rôle déterminant dans la décision de ne pas inculper Donald Trump.

Il avait aussi affirmé que le rapport Mueller disculpait le président non seulement de complot avec la Russie pour influencer l’élection présidentielle de 2016 mais également d’entrave à la justice. Il s’agissait de deux déclarations trompeuses parmi d’autres que William Barr est accusé d’avoir faites sur le rapport de Robert Mueller, que ce soit dans sa lettre de quatre pages résumant les conclusions du document ou lors d’une conférence de presse précédant sa publication.

Dossier clos ?

Quelques minutes après la déclaration de Robert Mueller, Donald Trump a réagi sur Twitter, clamant de nouveau son innocence.

« Rien n’a changé depuis le rapport. Il n’y avait pas de preuves suffisantes, et par conséquent, dans notre pays, une personne est innocente. Dossier clos ! Merci », a-t-il tweeté.

Mais des démocrates influents du Congrès ont refusé de fermer la porte à une procédure de destitution à l’encontre de Donald Trump, dont le représentant Jerrold Nadler, président de l’importante commission judiciaire de la Chambre des représentants.

PHOTO RICHARD DREW, ASSOCIATED PRESS

Le représentant démocrate Jerrold Nadler, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, a donné une conférence de presse, hier, à New York.

« Étant donné que le procureur spécial Mueller n’a pas été en mesure d’engager des poursuites pénales contre le président, il revient au Congrès de répondre aux crimes, mensonges et autres méfaits du président Trump », a-t-il dit lors d’une conférence de presse à New York.

« Personne, pas même le président des États-Unis, n’est au-dessus de la loi », a ajouté M. Nadler.

Questionné sur une éventuelle procédure de destitution, l’élu de Manhattan a répondu : « Toutes les options sont sur la table. »

Pas d’audition pour Mueller ?

Mais Jerrold Nadler pourrait devoir se passer du témoignage de Robert Mueller. Le procureur spécial a fait savoir hier qu’il ne souhaitait pas participer à une audition au Congrès.

« Mon rapport est mon témoignage », a-t-il déclaré.

Cela dit, le procureur spécial a lui-même donné l’impression d’être favorable à une procédure de destitution.

« La Constitution exige une autre procédure en dehors du système pénal pour mettre en accusation un président en exercice », a-t-il déclaré citant une opinion du département de la Justice

Cette procédure pourrait être l’impeachment (mise en accusation), dont certains dirigeants démocrates de la Chambre craignent qu’elle ne se retourne contre eux. Mais plusieurs candidats démocrates à la présidence ne partagent pas cette crainte.

« La déclaration de Robert Mueller le démontre clairement : le Congrès a le devoir moral et juridique de lancer la procédure de destitution immédiatement », a twitté le sénateur du New Jersey Cory Booker, qui appelait à l’impeachment du président pour la première fois.

Pas d’entente avec Moscou

Dans son intervention d’hier, Robert Mueller a également rappelé les conclusions de son rapport concernant le premier volet de son enquête, qui portait sur l’interférence russe dans l’élection présidentielle de 2016. Il a notamment évoqué les « efforts multiples et systématiques » de la Russie pour influencer l’issue du scrutin en faveur de l’adversaire d’Hillary Clinton.

Mais il a réitéré que son enquête n’avait pu apporter de « preuves suffisantes » d’une entente ou d’un complot entre l’équipe de campagne de Donald Trump et le Kremlin.

À la fin d’une déclaration qui mettait un terme à son rôle de procureur spécial, Robert Mueller a défendu « les avocats, les agents du FBI, les analystes » et autres membres de son personnel qui ont travaillé à ses côtés et manifesté « la plus grande intégrité » au cours des deux dernières années. Il n’a cependant pas répondu de façon explicite aux attaques et insultes dont Donald Trump les a abreuvés.

D’allégeance républicaine, Robert Mueller a occupé le poste de directeur du FBI sous George W. Bush et Barack Obama avant d’être remplacé par James Comey. Âgé de 74 ans, il retourne maintenant à la vie privée.

Les grandes dates de l’enquête russe

22 juillet 2016 Le site WikiLeaks commence à publier des dizaines de milliers de courriels volés à l’équipe de campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton. Le FBI soupçonne des pirates informatiques russes et ouvre secrètement une enquête sur une possible ingérence de Moscou dans l’élection.

13 février 2017 Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale du nouveau président, démissionne. Il est visé par une enquête pour avoir discuté, avant l’investiture de Donald Trump, avec l’ambassadeur de Russie à Washington.

9 mai 2017 Donald Trump limoge le directeur du FBI, James Comey, qu’il accuse d’être partial contre lui.

17 mai 2017 Face aux réactions outrées, l’ancien directeur du FBI Robert Mueller est nommé procureur spécial chargé de l’enquête russe et bénéficie d’une grande marge de manœuvre.

30 octobre 2017 L’ex-directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, et son ancien associé Rick Gates sont inculpés pour des fraudes liées à leurs activités de lobbyisme en Ukraine auprès des autorités prorusses, jusqu’en 2014. Manafort est arrêté en juin 2018 après avoir tenté de contacter des témoins. Il est condamné en février 2019 à sept ans et demi de prison.

16 février 2018 Robert Mueller met la pression sur le Kremlin en inculpant 13 Russes, dont un proche de Vladimir Poutine, Evguéni Prigojine, accusés d’avoir animé la campagne anti-Clinton et pro-Trump depuis l’Agence de recherche sur l’internet établie à Saint-Pétersbourg.

13 juillet 2018 Robert Mueller inculpe 12 agents du renseignement russe pour avoir piraté les ordinateurs du Parti démocrate américain.

25 janvier 2019 Roger Stone, ancien conseiller informel et vieil ami de Donald Trump, est arrêté et inculpé par le procureur spécial, qui l’accuse d’avoir menti à ses enquêteurs au sujet de ses échanges avec WikiLeaks avant la publication des courriels démocrates.

22 mars 2019 Robert Mueller transmet son rapport final au procureur général des États-Unis, Bill Barr. Deux jours plus tard, ce dernier informe le Congrès que l’enquête n’a pas trouvé de preuves de collusion entre la Russie et l’équipe de campagne de Donald Trump.

18 avril 2019 Les plus de 400 pages du rapport final de Robert Mueller sont rendues publiques, expurgées des informations délicates ou compromettantes. Le rapport détaille toutefois une dizaine de cas de pressions troublantes exercées par le président républicain sur l’enquête.

— Agence France-Presse