Celui que le journal The Guardian a surnommé « la conscience de Hollywood », le réalisateur Spike Lee, était de passage à Montréal hier pour clore la conférence C2. En coulisse, il n’a pas caché son appréhension à l’approche du prochain scrutin présidentiel au sud de la frontière.

Sur la manche du manteau de Spike Lee, le drapeau des États-Unis est à l’envers. « [L’ex-président Barack] Obama dit que la prochaine élection présidentielle sera la plus importante de l’histoire des États-Unis. Je suis d’accord. En fait, le sort du monde en dépend », a dit hier le réalisateur de 62 ans à un petit groupe de journalistes.

Spike Lee n’était pas à Montréal pour parler de la course à la Maison-Blanche, hier, mais bien de créativité, un des thèmes centraux de la conférence C2 qui a attiré plus de 7000 personnes dans le quartier Pointe-Saint-Charles. Néanmoins, la politique n’est jamais loin des préoccupations du réalisateur de Malcolm X, qui a mis l’histoire et le sort des Noirs américains au cœur de sa filmographie depuis ses tout débuts.

Affronter Trump

Lorsqu’il avait remporté son premier Oscar non honorifique cet hiver pour le scénario de son dernier film, BlacKkKlansman, il avait appelé à l’action tout le gratin hollywoodien. « L’élection de 2020 est tout près. Mobilisons-nous. Soyons du bon côté de l’histoire. Faisons le choix moral entre l’amour et la haine. Faisons la bonne chose ! », a-t-il dit en recevant son prix. Le président américain avait répliqué presque automatiquement en se plaignant sur Twitter d’avoir été la cible d’une « attaque raciste » de Spike Lee.

Quel impact a eu cette prise de bec avec l’occupant du bureau Ovale ? « Je savais bien qu’en me réveillant le lendemain matin, l’Agent Orange [Donald Trump] n’allait pas être destitué. Et rien n’a changé depuis la publication du rapport de Robert Mueller, dit-il. Tout va dépendre de la prochaine élection. »

L’homme originaire d’Atlanta pense qu’il est inutile de s’étendre sur les dommages causés aux Noirs américains et à la société américaine depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en janvier 2017. « Juste le fait qu’il a arraché des bébés des bras de leurs mères et qu’il n’avait rien prévu pour réunir les familles migrantes après, ça devrait déjà être plus qu’assez ! », tonne-t-il.

« C’est impensable, toutes les choses horribles que cet homme a faites depuis qu’il a prêté serment en mettant sa main sur une bible. » — Le réalisateur Spike Lee, à propos du président Donald Trump

Revisiter la guerre du Viêtnam

Au cours des derniers mois, c’est à distance que Spike Lee a suivi les actualités américaines. Il vient tout juste de rentrer d’un tournage de deux mois en Thaïlande et au Viêtnam. Son prochain film, Da Five Bloods, racontera l’histoire de quatre vétérans afro-américains de la guerre du Viêtnam qui retournent dans le pays du Sud-Est asiatique pour retrouver les restes de leur chef de peloton. « J’ai toujours admiré les films de guerre. J’ai fait un autre film sur des soldats afro-américains qui ont combattu en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Maintenant, je parle de la guerre du Viêtnam et des soldats afro-américains qui y ont combattu », dit celui qui est rentré d’Asie plus tôt cette semaine. « J’ai été surpris de voir que les Vietnamiens ne parlaient pas de cette guerre. Il n’y a pas une tonne d’amertume », note-t-il.

À plusieurs reprises, lors de son entrevue sur scène avec l’animatrice Amanda Parris, il a abordé la question de la place des Noirs américains dans le cinéma. « Je n’ai jamais voulu être seul dans cette situation. Un de mes rôles a été d’ouvrir la voie pour d’autres », a noté celui qui, en plus d’être scénariste, acteur et réalisateur, porte le chapeau de producteur. Il a d’ailleurs profité de son passage sur scène pour saluer son ami John Singleton, le réalisateur de Boyz N the Hood, mort le mois dernier.

Son conseil à ceux qui veulent marcher dans ses pas ? « Les choses que vous créez, vous devez aussi en être les propriétaires », a dit le cinéaste américain.

Cinq choses à savoir sur Spike Lee

Le réalisateur, scénariste, producteur et acteur américain est né à Atlanta, en Géorgie, en 1957.

Il a remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté d’une œuvre pour BlacKkKlansman cette année aux Oscars. Il était aussi finaliste pour l’Oscar du meilleur film.

En 2015, on lui a décerné un Oscar honorifique. Malgré cet honneur, il a boycotté la cérémonie des Academy Awards cette année-là, dans la foulée du mouvement #oscarsowhite dénonçant l’absence de finalistes afro-américains lors de la prestigieuse soirée hollywoodienne.

Diplômé du College Morehouse, à Atlanta, et de l’École de cinéma de l’Université de New York, il a dévoilé que sa grand-mère, fille d’esclave, avait mis tous ses chèques d’assurance sociale de côté pendant 50 ans pour payer ses études. Elle a aussi financé son premier film.

Parmi ses œuvres les plus connues, on compte Malcolm X (1992), Do the Right Thing (1989), Inside Man (2006) et She’s Gotta Have It (1986).