(NEW YORK) Non à la remise du rapport non expurgé de Robert Mueller par le département de la Justice. Non à la remise de documents relatifs à l’enquête russe par l’ancien conseiller juridique de la Maison-Blanche Don McGahn. Et non à la remise des six dernières déclarations de revenus de Donald Trump par le département du Trésor.

Ces jours-ci, le président américain et son administration multiplient les refus à la Chambre des représentants à majorité démocrate, qui a répliqué hier en ouvrant la voie à une motion de défiance contre le procureur général William Barr.

Les États-Unis se dirigent-ils vers une crise constitutionnelle ? La Presse a posé cette question et plusieurs autres hier à Richard Pildes, professeur de droit constitutionnel à l’Université de New York.

Comment le public américain devrait-il interpréter le refus presque systématique de la Maison-Blanche d’accéder aux demandes d’information du Congrès ?

Sur diverses questions, il pourrait y avoir un désaccord légitime concernant la portée des pouvoirs du Congrès par rapport aux pouvoirs du président. Plusieurs de ces questions n’ont pas été réglées par les tribunaux. Et, dans certains cas, il est compréhensible qu’il y ait ce genre de conflit et que les tribunaux aient à trancher au bout du compte. En revanche, quand l’administration adopte une position aussi radicale sur un si grand nombre de questions, cela commence à ressembler à un refus général de reconnaître le rôle de supervision légitime du Congrès. Et cela pourrait rendre les tribunaux plus sympathiques aux arguments du Congrès contre la position de l’exécutif.

William Barr pourrait devenir le deuxième procureur général (après Eric Holder en 2012) à faire l’objet d’une motion de défiance. Il est sur la sellette pour avoir refusé de remettre à la commission judiciaire de la Chambre une version non expurgée du rapport Mueller. Quelles seraient les conséquences d’un tel vote ?

Normalement, si un individu désobéit à un ordre du Congrès, comme de témoigner ou de produire un document, et qu’il est reconnu coupable d’outrage, cela signifie qu’il sera emprisonné jusqu’à ce qu’il fasse ce que le Congrès demande. Dans notre système de séparation des pouvoirs, cela peut poser un problème, car l’application de la loi incombe à la branche exécutive. Or, si la branche exécutive ne veut pas agir sur une condamnation pour outrage au Congrès, elle le peut. Il s’agit ensuite de savoir si le Congrès peut faire respecter une condamnation pour outrage. La réponse est oui. Le Congrès a ce pouvoir. Il y a même une prison quelque part au Congrès. Et il y a des policiers au service du Congrès. Mais il est difficile d’imaginer qu’ils arrêteront le procureur général des États-Unis. Nous assistons d’abord et avant tout à une bataille politique.

La Maison-Blanche a invoqué le privilège de l’exécutif pour justifier son refus de remettre au Congrès le rapport non expurgé de Robert Mueller et les documents réclamés à l’ancien conseiller juridique de la Maison-Blanche Don McGahn en lien avec l’enquête russe. De façon générale, en quoi consiste ce privilège de l’exécutif ?

Le privilège de l’exécutif touche aux conversations directes entre le président et ses conseillers de haut niveau. Les choses deviennent plus compliquées quand ces conseillers donnent au président des avis juridiques ou politiques. Et même s’il peut y avoir certains degrés de privilège entourant certaines communications, cela peut être surmonté sur le plan juridique s’il y a des raisons suffisamment convaincantes pour divulguer l’information. Les tribunaux pourraient arriver à cette conclusion dans le contexte d’une procédure de destitution, par exemple. Une des choses étranges au sujet du système américain est le nombre de ces questions qui n’ont jamais été réglées même après plus de 200 années d’histoire constitutionnelle et de combats constitutionnels entre le président et le Congrès.

Parmi les questions qui opposent aujourd’hui le président et le Congrès, quelles sont celles qui sont les plus susceptibles d’aboutir devant la Cour suprême des États-Unis ?

Il est facile d’imaginer que certaines de ces questions seront débattues devant la Cour suprême.

Seront-elles réglées avant la prochaine élection présidentielle ?

En général, les présidents ont intérêt à essayer de prolonger et de retarder le processus autant que possible. Cela vaut également dans ce cas particulier. Je suppose que les tribunaux vont essayer d’agir le plus rapidement possible sur ces questions. Mais il est possible que certaines d’entre elles ne soient pas réglées lorsque viendra la prochaine élection.

On entend des commentateurs dire que les États-Unis sont au bord de la crise constitutionnelle. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est exagéré à ce stade-ci. Nous avons une longue histoire de lutte de pouvoir entre le Congrès et la Maison-Blanche. Celle-ci est particulièrement pointue et acérée en ce moment. Mais je ne pense pas qu’on puisse parler de crise constitutionnelle si les tribunaux interviennent et que les deux parties respectent leurs décisions.