(Washington) Le gouvernement de Donald Trump a défendu mardi devant une Cour suprême visiblement divisée sa décision d’ajouter une question sur la nationalité dans le prochain recensement de la population des États-Unis.

Après avoir essuyé une volée de critiques et trois revers en justice, le gouvernement républicain mise sur la plus haute juridiction du pays pour pouvoir utiliser son formulaire dès 2020.

Sans la question «essentielle sur la citoyenneté», le recensement «perdrait toute signification et ça reviendrait à gaspiller des milliards de dollars», avait tweeté début avril le président Trump, dénonçant une offensive «ridicule» contre cette modification.

Les magistrats conservateurs de la Cour suprême ont semblé prêter une oreille bienveillante à ses arguments, soulignant que la question de la citoyenneté était posée dans de nombreux pays, avec la recommandation des Nations unies, et l’avait été dans le passé aux États-Unis.

À l’inverse, leurs collègues progressistes ont souligné le flou entourant les motivations du gouvernement et son choix d’écarter toutes les études allant à l’encontre de sa décision.

Le temple du droit américain devrait rendre sa décision d’ici juin afin que les formulaires soient imprimés cet été.

«Irrationnel»

Les enjeux sont énormes : le recensement conditionne l’octroi de 675 milliards de dollars de subventions fédérales et le nombre de sièges alloués à chaque État à la Chambre des représentants.

Selon la Constitution des États-Unis, il doit être organisé tous les 10 ans.

Le secrétaire au Commerce Wilbur Ross, en charge du dossier, avait annoncé en mars 2018 qu’il allait réintroduire une question sur la nationalité, abandonnée il y a plus de soixante ans, dans les formulaires pour le recensement de 2020.

Sa décision avait suscité un tollé chez les démocrates et les défenseurs des migrants. Pour eux, la question sur la citoyenneté va intimider les migrants, qui répondront moins au recensement.

Craignant d’être pénalisés par une baisse des allocations si leur population est sous-estimée, une vingtaine d’États, comme la Californie ou New York, avaient alors déposé plainte contre la nouvelle version du recensement.

Un juge fédéral de New York leur a donné raison en janvier, tançant sévèrement Wilbur Ross. Le magistrat a estimé que le ministre n’avait «pas tenu compte d’aspects importants» du problème, et avait «agi irrationnellement».

Depuis, deux autres tribunaux, en Californie et dans le Maryland, ont rendu des décisions similaires.

«Quelles raisons?»

Mardi, lors de l’audience devant la Cour suprême, tous les acteurs ont reconnu que l’ajout de la question sur la nationalité aurait un impact sur le taux de réponse des immigrés, notamment hispanophones.

Selon les experts du bureau de recensement, entre 1,6 et 6,5 millions de personnes s’abstiendront de répondre au formulaire s’il comporte cette question, et un grand nombre mentiront.

«Un secrétaire au Commerce peut s’éloigner des conclusions de ses experts, mais il a besoin de raisons pour le faire», a souligné la juge progressiste Elena Kagan. Or, a-t-elle ajouté, «j’ai regardé dans tout le dossier et je n’ai pas trouvé de raison».

Au contraire, a-t-elle noté, «on a l’impression qu’il a cherché des raisons» a posteriori.

Lors d’auditions publiques en 2018, Wilbur Ross avait affirmé avoir choisi d’ajouter la question sur la citoyenneté en réponse à une requête du département de la Justice.

Selon lui, ses collègues de la Justice souhaitaient recueillir des données plus précises sur les citoyens américains pour faire respecter les lois électorales.

Il a ensuite été établi que M. Ross avait discuté de cette option avec des conseillers de la Maison-Blanche, puis avait sollicité le procureur général pour le presser de formuler cette demande.

L’avocat du gouvernement fédéral devant la Cour suprême, Noel Francisco, a toutefois repris le même argumentaire : pour lui, le secrétaire au Commerce a tranché entre un «coût» – obtenir un taux de réponse plus faible – et un «bénéfice» – mieux connaître la population électorale.

Il a ajouté qu’au delà de leur origine, certains sondés avaient peut-être d’autres motifs pour ne pas participer au recensement, notamment «parce qu’ils n’aiment pas l’administration actuelle».  

«Est-ce que vous suggérez que les Hispaniques boycottent le recensement, qu’ils n’ont pas de peur légitime?», lui a rétorqué la juge Sonia Sotomayor, visiblement agacée.