L'an dernier, l'économiste Douglas Irwin a fait paraître un livre retraçant l'histoire des politiques américaines en matière de commerce international depuis 1793. Il est donc bien placé pour situer dans un contexte historique la décision de l'administration Trump de frapper le Canada, le Mexique et l'Union européenne de tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium.

Son verdict : les États-Unis ne se sont pas comportés de la sorte avec des pays alliés une seule fois au cours des 75 dernières années.

« Jamais on n'a vu depuis la Seconde Guerre mondiale les États-Unis imposer de façon uniforme une hausse des tarifs douaniers sur un produit important, sans exemptions pour nos alliés ou certains fournisseurs », a déclaré à La Presse Douglas Irwin, professeur d'économie au Dartmouth College et auteur de Clashing Over Commerce - A History of US Trade Policy.

« Je ne pense pas qu'un seul président depuis la Seconde Guerre mondiale aurait adopté une telle mesure draconienne, même sous la pression extrême de l'industrie. Ici, vous avez un président qui adopte cette mesure draconienne sans la pression de l'industrie. C'est pourquoi cette décision est en dehors de la norme historique. »

Fait remarquable, le Syndicat des métallos (United Steelworkers) a exprimé sa « déception » à la suite de la décision de l'administration Trump de priver le Canada de l'exemption dont ce pays jouissait depuis l'annonce des tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium.

« La décision est inacceptable et met en cause la conception et l'orientation de la politique de l'administration en matière de commerce. »

- Extrait d'un communiqué du Syndicat des métallos

En faisant allusion à la question de sécurité nationale invoquée pour justifier l'imposition des tarifs douaniers, le Syndicat a ajouté : « Notre histoire démontre qu'il n'y a pas d'allié et de partenaire plus fort que le Canada en ce qui a trait à la sécurité nationale. »

DE REVIREMENT EN REVIREMENT

La décision de l'administration Trump fait suite à une série de retournements susceptibles de donner le tournis. Le 8 mars dernier, le président américain avait annoncé des tarifs de 25 % sur les importations d'acier et de 10 % sur l'aluminium, précisant que ces droits de douane s'appliqueraient à tous les pays sans exception. Il devait ensuite en exempter le Canada et le Mexique, puis l'Union européenne, et ce, au moins jusqu'au 1er juin.

Entre-temps, l'administration Trump a menacé la Chine d'une guerre commerciale. Or, après avoir annoncé une sorte d'armistice il y a un peu moins de deux semaines, les États-Unis ont fait volte-face mardi en dévoilant qu'ils préparaient toujours des mesures punitives contre Pékin.

Ces revirements reflètent les tiraillements au sein même de l'administration Trump entre les partisans du libre-échange, menés par le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, et les promoteurs du protectionnisme, représentés par le conseiller économique Peter Navarro. Ce dernier a défendu hier la décision de frapper les alliés des États-Unis de tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium.

« Aucun président n'a fait plus pour défendre le secteur manufacturier américain contre les pratiques commerciales injustes que Donald Trump », a-t-il écrit dans une tribune publiée en fin d'après-midi sur le site du USA Today. « Ce qui pourrait surprendre même ses critiques, c'est qu'aucun président depuis que Lyndon B. Johnson a déclaré la "guerre à la pauvreté" n'a fait plus pour améliorer les perspectives des familles à faibles ou moyens revenus que le président Trump », a-t-il ajouté en faisant notamment allusion à une nouvelle aciérie qui doit être construite à Ashland, au Kentucky, en plein coeur des Appalaches.

Le portrait dithyrambique brossé par le conseiller présidentiel suscite le scepticisme chez plusieurs économistes.

« Je pense que cette décision nuira à l'économie des États-Unis. Elle nous aliène en outre notre partenaire commercial le plus important et cause du tort à notre alliance avec le Canada. »

- Douglas Irwin, économiste

INSATISFACTION BIPARTISANE

Les ténors des deux grands partis politiques ont également critiqué la décision de l'administration Trump.

« Je suis en désaccord avec cette décision », a déclaré le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan. « Au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes du commerce international liés à ces produits, l'initiative d'aujourd'hui cible les alliés des États-Unis, alors que nous devrions travailler avec eux pour nous attaquer aux pratiques commerciales injustes de pays comme la Chine. Il y a de meilleures façons d'aider les travailleurs et les consommateurs américains. »

La sénatrice démocrate de Californie Dianne Feinstein a publié un message semblable sur Twitter : « Le président pense que les guerres commerciales sont faciles à gagner, mais à moins qu'il ne change de direction, ce seront les travailleurs, les consommateurs et les familles qui perdront. »

En fin de journée, Donald Trump a répliqué avec un gazouillis lapidaire écrit en lettres majuscules : « FAIR TRADE. » Commerce équitable.

Ce ne devraient cependant pas être les derniers mots de ce débat.

Photo Tom Brenner, The New York Times

President Donald Trump delivers remarks at a campaign-style rally at the Nashville Municipal Auditorium in Nashville, Tenn., May 29, 2018. Trump acknowledged on Wednesday the furor over a racist Twitter post made by Roseanne Barr, but focused on an apology issued by ABC instead of the offensive content of the television starÄôs remarks. (Tom Brenner/The New York Times)

PHOTO ROSS MANTLE, THE NEW YORK TIMES

FILE-- A worker at a CP Industries plant in McKeesport, Pa., on April 9, 2018. April marked the 91st consecutive month of job gains, far and away the longest streak of increases on record. The average monthly gain has declined each year since 2014, but that’s normal for an economy that’s been in recovery for such an extended period. (Ross Mantle/The New York Times)