Cinquante ans après l'assassinat de Martin Luther King, la perception qu'ont les Américains des progrès réalisés vers l'égalité raciale demeure bien tranchée entre les Noirs et les Blancs, démontre un sondage mené par l'Associated Press et le centre NORC de l'Université de Chicago.

La majorité des répondants afro-américains ont dit observer très peu, sinon aucune amélioration en vue d'obtenir un traitement égal dans plusieurs enjeux défendus par le mouvement des droits civiques. À l'opposé, les répondants blancs dressent un constat souvent plus optimiste sur les mêmes enjeux. D'après une analyse menée par l'Associated Press, les données disponibles tendent à donner raison aux Afro-Américains et à leur vision plus pessimiste de leur réalité.

Le sondage interrogeait les répondants sur comment s'en sortent les Afro-Américains dans divers domaines de la société comme l'accès abordable à une propriété ou la représentation politique. Trois sujets ont obtenu des résultats particulièrement polarisés entre les Noirs et les Blancs: les relations avec les policiers, la justice criminelle et le droit de vote.

Relations avec les policiers

Le discours «I Have a Dream», prononcé par Martin Luther King en 1963, place la brutalité policière parmi les enjeux prioritaires défendus par les militants du mouvement des droits civiques.

Les résultats du sondage démontrent que plus de sept Afro-Américains sur dix considèrent que peu de progrès ont été réalisés en matière de relations avec les policiers depuis 50 ans.

Mesurer les changements dans la façon dont les policiers traitent les citoyens noirs n'est pas simple parce que les données sur les interventions policières et sur le recours à la force sont difficiles à obtenir, particulièrement dans un contexte historique. Toutefois, de nombreuses études ont tenté de rassembler les recensements fédéraux, des données des États sur les contrôles routiers et des données du FBI sur les arrestations pour évaluer les disparités raciales.

Les résultats de ces études indiquent une inégalité soutenue dans le traitement des citoyens noirs par les autorités policières.

Les contrôles routiers sont la principale source d'interactions entre les agents de police et les citoyens, et certaines études décrivent comment les conducteurs blancs et les conducteurs noirs vivent ces rencontres de manière complètement différente. Une étude de l'Université Stanford a rassemblé les données de 16 États pour démontrer que les automobilistes noirs sont beaucoup plus susceptibles d'être interceptés, mis à l'amende, fouillés ou arrêtés que les automobilistes blancs. Les données des décennies 1960 et 1970 sur ces mêmes interventions ne sont toutefois pas disponibles pour établir une comparaison.

Justice criminelle

Au moment du meurtre du révérend Martin Luther King, la population carcérale américaine ne représentait qu'une fraction de ce qu'elle est aujourd'hui. À l'époque, le taux d'incarcération des Afro-Américains représentait cinq fois le taux d'incarcération des Blancs, selon les chiffres du Bureau des statistiques judiciaires. Les répondants afro-américains au sondage AP-NORC sont plus de six sur dix à considérer que peu ou pas d'avancés ont été réalisés dans le traitement des citoyens noirs par le système pénal depuis 50 ans.

Vers la fin de la décennie 1990, le taux d'incarcération des Noirs s'est élevé jusqu'à atteindre huit fois celui des Blancs. Si cet écart s'est réduit depuis, les données du Bureau des statistiques judiciaires indiquent qu'en 2016, l'écart entre les Noirs et les Blancs était encore légèrement plus élevé que ce qu'il était en 1968.

La judiciarisation disproportionnée des Afro-Américains va au-delà du taux d'incarcération. Ceux-ci représentent environ 12% de la population des États-Unis, mais ils représentent 38% des personnes en libération conditionnelle. De plus, sur les 3,8 millions d'Américains en probation, près du tiers sont noirs. Pire encore, selon une étude du Urban Institute, les Noirs sont beaucoup plus susceptibles de voir leur probation révoquée que les Blancs.

Droit de vote

Lors de son discours intitulé «Give us the ballot», en 1957, Martin Luther King a farouchement défendu l'égalité du droit de vote et a insisté sur l'importance de s'impliquer dans la vie civique. C'est l'enjeu qui a obtenu les réponses les plus optimistes du sondage AP-NORC. Un total de 63% des répondants noirs et de 90% des répondants blancs ont dit avoir observé une amélioration.

La loi sur le droit de vote de 1965 visait à protéger les Afro-Américains contre des pratiques discriminatoires largement répandues. Le nombre d'électeurs inscrits a d'ailleurs connu une tendance à la hausse après l'adoption de la loi. Des critiques dénoncent cependant le fait que de nouveaux obstacles, comme les règles d'identification et des clauses concernant les citoyens ayant un dossier criminel, soient venus limiter le droit de vote au fil du temps.

Les États-Unis comptent parmi les rares pays qui retirent le droit de vote aux citoyens condamnés au criminel, même après leur libération.

En 2016, on estimait que 6,1 millions d'Américains avaient perdu leur droit de vote en raison d'une condamnation criminelle, selon une étude du Sentencing Project. Cette même enquête a démontré qu'un Afro-Américain sur 13 en âge de voter est privé de son droit. Un taux quatre fois plus élevé que dans le reste de la population.

Le sondage AP-NORC a été mené auprès de 1337 répondants d'âge adulte, du 15 au 19 février, par téléphone et par internet. La marge d'erreur est de 3,9 points de pourcentage. Parmi les répondants, 388 sont Afro-Américains, un taux volontairement plus élevé que leur représentativité dans la population pour les fins de l'enquête. La marge d'erreur pour cette tranche de la population est de 7,3 points.