Le président américain Donald Trump a mis en cause vendredi l'intégrité des plus hauts échelons du ministère de la Justice et du FBI, s'attirant les foudres de l'opposition démocrate, qui brandit désormais le spectre d'une crise constitutionnelle.

Défiant l'opposition, le directeur du FBI et plusieurs sénateurs de son parti, le chef de l'exécutif américain a approuvé la déclassification d'une note confidentielle très controversée, rédigée par des républicains du Congrès. Ce document décrit ce qu'ils considèrent comme un abus de pouvoir du FBI lors de la mise sur écoute d'un ancien membre de l'équipe de campagne Trump avant l'élection de novembre 2016.

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«Ce qui se passe dans notre pays est une honte», a déclaré Donald Trump dans le Bureau ovale, avant que la note de quatre pages ne soit publiée par la Chambre des représentants. «Les plus hauts responsables et enquêteurs du FBI et du ministère de la Justice ont politisé le processus sacré d'investigation en faveur des démocrates et contre les républicains», a-t-il également tweeté.

Photo Joshua Roberts, archives REUTERS

Le président républicain de la commission du Renseignement, Devin Nunes

L'accusation est extraordinaire de la part d'un président des États-Unis, traditionnellement soucieux de préserver l'image de deux piliers des institutions américaines.

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Mais le successeur de Barack Obama est déterminé à prouver que des éléments au sein du pouvoir judiciaire veulent miner sa présidence à travers l'enquête sur une éventuelle collusion entre sa campagne et la Russie, conduite initialement par le FBI et reprise l'an dernier par le procureur spécial Robert Mueller.

La note lui en fournit une justification, bien qu'elle ne s'intéresse qu'à un seul personnage de l'affaire, Carter Page, et ne cite jamais Robert Mueller ou le reste de ses investigations. En outre, disent les démocrates, le «mémo» est parcellaire et tendancieux, omettant de nombreux faits.

Croyant voir clair dans son jeu, l'opposition a prévenu solennellement le dirigeant de ne pas prendre cette note comme prétexte pour se débarrasser de Robert Mueller ou de son supérieur hiérarchique, le numéro deux de la Justice, Rod Rosenstein.

«Nous considérerions une telle action comme une tentative d'entrave à la justice dans l'enquête russe», ont écrit dix hauts responsables démocrates du Sénat et de la Chambre dans une lettre. Les limoger, avertissent-ils, «pourrait créer une crise constitutionnelle sans précédent depuis le Massacre du Samedi soir».

Ce «massacre» est le surnom donné à la décision du président Richard Nixon de limoger en 1973 le procureur spécial sur le scandale du Watergate, ce qui avait conduit à la démission du ministre de la Justice et de son numéro deux.

Faire le jeu de Poutine

Le «mémo Nunes», du nom du président républicain de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, Devin Nunes, vise à retracer la procédure secrète de mise sur écoute de l'ex-conseiller Carter Page à partir d'octobre 2016.

Selon les républicains, les enquêteurs du FBI, avec l'appui du ministère de la Justice, auraient partiellement justifié cette action à partir d'un dossier de renseignement rédigé par un ex-espion britannique, Christopher Steele, embauché par un cabinet américain lui-même payé par la campagne d'Hillary Clinton et le parti démocrate. Ils accusent le FBI de n'avoir pas révélé aux juges autorisant les écoutes que la campagne Clinton avait cofinancé le dossier, sous-entendant que toute la procédure était donc viciée - ce que les démocrates contestent.

La note accable l'ex-haut responsable de la Justice Bruce Ohr, et cite l'ex-numéro deux du FBI Andrew McCabe, ainsi que l'actuel numéro deux de la Justice Rod Rosenstein, qui a renouvelé des demandes d'écoute sur Carter Page.

Donald Trump a d'ailleurs refusé de renouveler sa confiance en M. Rosenstein, déclarant un énigmatique: «Je vous laisse deviner».

L'enquête du procureur spécial touche le premier cercle du milliardaire, qui se plaint régulièrement qu'elle entrave injustement son action politique. De nombreux proches et collaborateurs ont été interrogés, et quatre ont été inculpés pour des délits financiers ou autres. Carter Page était écouté en raison de ses nombreux et anciens contacts avec des Russes.

Les démocrates de la commission du Renseignement ont répété vendredi que quoi qu'il en fût, l'enquête Mueller reposait sur de multiples éléments, et non sur le seul «dossier Steele». «Le seul but du document républicain est de protéger la Maison-Blanche et le président», ont-ils argué.

«C'est tout?» a tweeté, consterné, l'ancien patron du FBI James Comey, relevant l'absence de preuves confondantes.

Les chefs républicains du Congrès présentaient la note comme le fruit du nécessaire devoir de contrôle de l'exécutif par le pouvoir législatif.

Pourtant de nombreux parlementaires pro-Trump utilisaient la note pour discréditer le travail de l'équipe Mueller.

Des poids lourds républicains s'inquiétaient des conséquences durables pour le FBI et la sécurité nationale américaine... au moment où la Russie tenterait à nouveau, selon eux, de s'immiscer dans la politique nationale.

«Les attaques récentes contre le FBI et le département de la Justice ne servent aucun intérêt américain - ni celui du parti ni celui du président. Seulement l'intérêt de Poutine», a dénoncé le sénateur John McCain.

Ce que contient la note

La note confidentielle rédigée par des républicains du Congrès et déclassifiée par Donald Trump affirme « soulever des inquiétudes quant à la légitimité et la légalité de certaines actions » initiées par le FBI et le ministère américain de la Justice.

Il est reproché à ces deux institutions d'avoir commis des abus afin d'obtenir le mandat d'un juge pour espionner les conversations d'un ancien conseiller diplomatique de l'équipe de campagne de Donald Trump, Carter Page.

Adoptée il y a 40 ans, la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) impose en effet aux enquêteurs du département de la Justice de présenter à un magistrat fédéral des éléments probants - laissant soupçonner par exemple qu'un individu travaille clandestinement pour une puissance étrangère - afin d'avoir le droit de placer cette personne sur écoute.

Ce qu'affirme la note : 

- Pour obtenir le précieux mandat judiciaire, le département de la Justice et le FBI se sont appuyés sur des informations collectées par Christopher Steele, un ancien espion britannique. Celui-ci a opéré dans le cadre d'une mission, financée par le parti démocrate et l'équipe de campagne de Hillary Clinton, relevant clairement d'une partialité anti-Trump.

- La demande de mandat d'écoute présentée au juge a été signée par quatre hauts responsables qui ont volontairement omis de préciser les motivations politiques de Christopher Steele : le directeur d'alors du FBI, James Comey, son ancien adjoint Andrew McCabe, l'ancienne vice-responsable du ministère Sally Yates et l'actuel numéro deux Rod Rosenstein.

- Le « dossier » compilé par Christopher Steele représentait une « part essentielle » de la demande de mandat d'écoute présentée au magistrat fédéral.

- M. Steele était également une source du FBI, pourtant sa fiabilité était plus que douteuse : il a menti à la police fédérale sur ses contacts et a fait des confidences aux médias en violation des règles de confidentialité dans le monde du renseignement.

Ce qu'omet de dire la note :

- Carter Page faisait l'objet de soupçons du FBI depuis 2013, bien avant la mission d'investigations confiée à Christopher Steele.

- Le dossier de Steele n'a pas été le déclencheur de l'ouverture de l'enquête d'abord confidentielle du FBI sur une possible collusion entre Moscou et l'équipe de campagne de Donald Trump. Celle-ci a été ouverte en juillet 2016, les services de renseignement américains ayant constaté des communications intensives entre des Russes et des proches du candidat républicain, notamment le conseiller George Papadopoulos.

- Le fait d'utiliser devant un juge des informations provenant d'une entité ayant des préjugés ou des intentions cachées (comme M. Steele) n'est pas rare : au magistrat d'estimer ensuite le poids à donner à ces informations.

PHOTO JIM BOURG, ARCHIVES REUTERS

L'édifice du Federal Bureau of Investigations (FBI) à Washington