Peut-on encore honorer Christophe Colomb? Comme d'autres villes américaines, New York, où se déroulait lundi le traditionnel défilé en hommage du «découvreur de l'Amérique», se pose la question, dernière illustration du débat ultra-sensible sur l'histoire et le racisme aux États-Unis.

«On est venu pour le week-end et on a amené nos enfants: on voulait qu'ils voient le défilé et les statues avant qu'ils ne s'en débarrassent», explique Ruth Edelstein-Friedman, venue exprès en famille de Miami, malgré la pluie, assister au traditionnel défilé marquant  «Columbus Day» sur la 5e Avenue, à savoir l'anniversaire de l'arrivée de l'explorateur aux Bahamas, en octobre 1492.

Pour elle et son mari Eduardo, l'avenir ne fait guère de doute: après la polémique sur les symboles confédérés, qui a mené au déboulonnage de nombreuses statues de généraux sudistes perçues comme autant de symboles de l'esclavage et de racisme, la fin des hommages à Christophe Colomb, de plus en plus dénoncé comme l'incarnation du génocide des Amérindiens et des indigènes en général, est pour bientôt.

Pourtant, personne n'a encore annoncé la fin du défilé new-yorkais, qui peut rassembler, les années sans pluie, jusqu'à un million de spectateurs. D'autant qu'il célèbre non seulement le navigateur italien mais aussi la puissante communauté italo-américaine new-yorkaise, représentée au plus haut niveau par le maire de la ville, Bill de Blasio, et le gouverneur de l'État de New York, Andrew Cuomo, qui ont tous les deux fièrement défilé lundi.

Et le président Donald Trump a balayé toute polémique lundi en qualifiant l'arrivée de l'explorateur génois d'«évènement qui a indéniablement et fondamentalement changé le cours de l'histoire humaine et ouvert la voie au développement de notre grande nation». Contrairement à son prédécesseur Barack Obama, Donald Trump n'a cité aucun des possibles travers de sa «découverte».

Columbus Day ou Journée des indigènes?

Mais des dizaines de villes américaines ont déjà remplacé la célébration de «Columbus Day» - devenu jour férié fédéral en 1937 - par une journée d'hommage aux «peuples indigènes».

Le bastion gauchiste qu'est Berkeley, en Californie, avait donné l'impulsion dès 1992. Depuis deux ans, il a été rejoint par plus de 50 villes à travers le pays, y compris de grands centres urbains dont Los Angeles, deuxième ville du pays, qui a voté en août pour célébrer les indigènes plutôt que l'explorateur.

Même à New York, le sort des statues de Christophe Colomb est dans la balance. Comme celle érigée pour le 400e anniversaire de sa «découverte», en 1892, au sommet d'une colonne de 23 mètres de haut qui surplombe la célèbre place de «Columbus Circle», au pied de Central Park.

Ou une autre statue, plus petite à l'intérieur du parc, vandalisée le mois dernier: une des mains était couverte de peinture rouge pour dénoncer le sang que l'explorateur aurait sur les mains, tandis que sur le socle était écrit à la peinture blanche: «La haine ne sera pas tolérée».

Lundi, une poignée de manifestants, comme cela est arrivé plusieurs fois ces derniers temps, s'était plantée devant la statue de Columbus Circle, gardée désormais quotidiennement par la police, pour dénoncer Colomb et pêle-mêle le «génocide», l'«esclavage» et le «viol».

La veille, une commémoration au pied de la statue avait déjà été perturbée par une poignée de manifestants, dénonçant la «suprématie blanche».

Des pétitions et contre-pétitions circulent, et tweets et contre-tweets se succèdent, pour demander l'enlèvement des statues et dénoncer les hommages à l'ancêtre «sanguinaire», ou au contraire fustiger «le révisionnisme de l'histoire».

Dans la foulée des violences néo-nazies de Charlottesville, et du débat électrique autour des symboles de racisme qui a suivi, le maire de New York a nommé en août une commission chargée de décider du sort de tous les monuments controversés. Mais il a prudemment annoncé que la commission rendrait son verdict début décembre, un mois après l'élection municipale à l'issue de laquelle il espère décrocher un deuxième mandat.

Dans ce contexte, certains voient le défilé new-yorkais comme une espèce à protéger. Comme Steve Cohn et sa femme Laura Scheyer, venus pour quelques jours de Seattle où Columbus Day n'est plus célébré.

«Tous les pays ont des problèmes avec leur histoire, ont supprimé des gens», dit Steve Cohn. «Mais le défilé, ce sont juste des gens qui s'amusent, et on a tous besoin de s'amuser un peu quand on regarde le monde d'aujourd'hui, n'est-ce pas?

AP

Une statue de Christophe Colomb trône sur la place Columbus Circle, à Manhattan.