Les forces irakiennes, appuyées par une coalition internationale menée par les États-Unis, ont annoncé jeudi avoir reconquis Tal Afar et la totalité de la province septentrionale de Ninive, marquant une victoire clé contre le groupe djihadiste État islamique (EI).

Après ce revers, l'EI qui s'était emparé de près d'un tiers de l'Irak en 2014 face à des forces irakiennes en pleine débandade, ne tient plus qu'une ville au nord de Bagdad et trois localités du désert frontalier de la Syrie, soient 10% du pays, selon la coalition.

Au terme de 12 jours de combats, le premier ministre Haider al-Abadi, commandant en chef des forces armées, a annoncé que «Tal Afar la résistante a rejoint Mossoul, la ville libre, et retrouvé sa place dans le territoire national».

Les responsables irakiens assuraient que la victoire interviendrait avant la fête musulmane de l'Aïd al-Adha. C'est chose faite, alors que les célébrations en Irak commencent vendredi pour les sunnites et samedi pour les chiites.

La rapidité de la bataille, lancée par des forces à peine sorties de neuf longs mois de guérilla meurtrière dans les rues de Mossoul, est «un signe positif», estime le brigadier général Andrew A. Croft, commandant en second de l'aviation de la coalition. «C'est un résultat qui prouve que les forces irakiennes sont capables d'affronter l'EI, que la stratégie de la coalition a marché».

La reprise de Tal Afar, située entre Mossoul, la deuxième ville d'Irak dont l'EI a été chassé début juillet et la frontière avec la Syrie, indiquait la semaine dernière le général britannique Rupert Jones, commandant en second de la coalition, «met fin dans les faits à la présence militaire de l'EI dans le nord de l'Irak».

La reconquête totale de la province de Ninive pourrait permettre à la coalition d'accentuer la pression sur l'EI en Syrie. À la reprise de Mossoul, la coalition avait déjà redéployé ses avions pour mener environ 270 frappes dans et autour de Raqa, la «capitale» de l'EI.

«Djihadistes éreintés»

La reconquête de Mossoul, «le symbole du califat, qui représentait beaucoup pour les jihadistes», note un responsable militaire au sein de la coalition, avait sévèrement attaqué le moral des jihadistes.

Tal Afar, assure-t-il, n'était plus défendue que par «un ersatz de force résiduelle» de jihadistes «profondément déstabilisés et moralement éreintés».

Après avoir reconquis en une semaine la ville de Tal Afar, peuplée avant l'entrée de l'EI en 2014 de 200 000 habitants, les forces gouvernementales et paramilitaires irakiennes ont rencontré une forte résistance à al-Ayadieh, une localité à 15 km au nord.

C'est là que s'étaient retranchés les derniers jihadistes qui, au lancement de la bataille le 20 août, étaient «entre 1000 et 1400», selon le brigadier général Croft.

«Les forces irakiennes ont éliminé entre 600 et 700 combattants de l'EI», affirme-t-il à l'AFP et «une centaine se seraient rendus».

La coalition a salué une «superbe victoire» avant de prévenir qu'il restait encore «un dangereux travail de nettoyage de tous les engins explosifs, ainsi que l'identification des combattants de l'EI en fuite et l'élimination des derniers éléments de résistance jihadistes».

Après Tal Afar, restent encore quelques poches jihadistes en Irak, dont la reprise s'annonce moins aisée.

D'un côté, l'EI tient Hawija, à près de 300 km au nord de Bagdad. Sa reconquête est compliquée car la province de Kirkouk où elle se trouve est disputée entre Bagdad et le Kurdistan irakien.

Prochain objectif?

«L'opération (de reprise) a été retardée», a ainsi indiqué le général Halgurd Hikmat, porte-parole des Peshmergas, les combattants kurdes qui ont notamment participé à la reconquête de Mossoul. Aujourd'hui, dit-il, Hawija doit être la priorité.

Bagdad se trouve toutefois devant un rendez-vous qui pourrait peser sur la décision: le référendum kurde sur l'indépendance prévu le 25 septembre.

Les jihadistes sont aussi encore présents dans trois localités de l'ouest désertique frontalier de la Syrie: al-Qaïm, Rawa et Anna. La reprise de ces zones, découvertes, proches des provinces de Deir Ezzor et de Raqa, déchirées depuis six ans par la guerre en Syrie, s'annonce périlleuse.

Dans son communiqué, M. Abadi fait la «promesse au peuple de poursuivre avec détermination la libération de chaque pouce du territoire irakien». Il lance en outre aux jihadistes: «vous n'avez pas d'autre choix que de mourir ou de vous rendre».

En Syrie, l'EI est également sous le feu des combattants arabes et kurdes soutenus par la coalition à Raqa et recule face au régime dans des zones désertiques s'étendant du centre du pays à la frontière avec l'Irak.

Dans les deux pays, l'EI a perdu des milliers de combattants, que les contingents de jihadistes étrangers, aujourd'hui moins nombreux, peinent à compenser.

Malgré ces revers, il parvient encore à frapper. Il a revendiqué récemment des attentats meurtriers en Espagne et en Russie et continue de mener des attentats en Irak.

Tal Afar, enclave stratégique à mi-chemin entre Mossoul et la Syrie

En annonçant jeudi la reprise de leur bastion de Tal Afar à mi-chemin entre Mossoul et la Syrie, les forces irakiennes ont privé les djihadistes d'une ville d'une grande importance stratégique pour le «califat» autoproclamé par le groupe État islamique (EI) à cheval entre l'Irak et la Syrie.

Géographie et histoire

La ville est située à environ 450 km au nord-ouest de Bagdad, et à 70 km à l'ouest de la deuxième ville d'Irak, Mossoul, ancien plus important bastion de l'EI en Irak, mais récemment repris par les forces irakiennes.

L'histoire de Tal Afar remonte à plusieurs milliers d'années et la ville a fait partie un temps de l'empire assyrien. Elle est dominée par une citadelle de l'ère ottomane, qui a été endommagée en 2014 avec l'entrée des djihadistes.

Population

Avant que le groupe djihadiste sunnite ne s'en empare à l'été 2014, Tal Afar comptait 200 000 habitants, en majorité issus de la minorité turkmène.

La ville était une enclave principalement chiite dans la province majoritairement sunnite de Ninive.

L'occupation djihadiste a aggravé les divisions confessionnelles entre chiites et sunnites parmi les Turkmènes d'Irak.

Les chiites de Tal Afar ont été directement pris pour cible par l'EI tandis que des membres de la minorité sunnite de la ville ont rejoint les rangs djihadistes formant un contingent à la réputation particulièrement violente au sein de l'organisation.

Stratégique

Tal Afar est située à mi-chemin entre Mossoul et la frontière syrienne, sur le territoire du «califat» autoproclamé à l'été 2014 par l'EI à cheval entre l'Irak et la Syrie.

Les forces gouvernementales ont chassé les djihadistes début juillet de Mossoul après une offensive de neuf mois. Comme Mossoul, Tal Afar avait été prise par l'EI en juin 2014 lors de sa progression fulgurante qui lui avait permis de conquérir jusqu'à près d'un tiers du territoire irakien.

Tal Afar n'est ni aussi grande ni aussi symbolique que Mossoul, mais sa reprise est une étape majeure dans l'offensive antidjihadistes, tant en Irak qu'en Syrie voisine.

La reconquête de la ville, assurent autorités irakiennes et coalition internationale, rend encore plus difficile tout passage d'armes et de djihadistes entre l'Irak et la Syrie, où l'EI est également la cible de multiples assauts.

La situation à Tal Afar intéresse également la Turquie, en raison de la présence de Turkmènes, pour beaucoup turcophones, et de la proximité de Tal Afar de son territoire (à une centaine de kilomètres).

AFP

Tal Afar est située à environ 450 km au nord-ouest de Bagdad, et à 70 km à l'ouest de la deuxième ville d'Irak, Mossoul, ancien plus important bastion de l'EI en Irak, mais récemment repris par les forces irakiennes.

Irak, Syrie, Libye: les principaux reculs de l'EI

Le groupe État islamique (EI), qui s'était emparé en 2014 de larges pans de territoire en Irak et en Syrie, connaît d'importants revers depuis plusieurs mois.

Irak

- TIKRIT: À majorité sunnite, la ville est reprise le 31 mars 2015 par les forces irakiennes, avec l'implication de milices chiites et d'une coalition internationale antidjihadistes.

- RAMADI: Chef-lieu de la province d'Al-Anbar et ville sunnite à 100 km à l'ouest de Bagdad, Ramadi est reconquise le 9 février 2016, tandis que la localité voisine de Fallouja, première ville irakienne capturée par l'EI en janvier 2014, est reprise le 26 juin.

- MOSSOUL: Des dizaines de milliers de membres des forces gouvernementales, soutenus par des frappes de la coalition internationale menée par Washington, ont mis neuf mois à chasser le groupe djihadiste sunnite de la deuxième ville d'Irak, plus gros bastion djihadiste du pays. L'offensive a été lancée le 17 octobre 2016. Le 10 juillet 2017, le premier ministre irakien Haider al-Abadi a proclamé la victoire.

- TAL AFAR: Le 31 août 2017, M. Abadi annonce la reprise de Tal Afar (nord), ville stratégique pour l'EI et l'un de ses derniers bastions dans le pays, finalisant ainsi la reconquête de la province septentrionale de Ninive.

Syrie

- KOBANE: Cette ville kurde à la frontière turque est devenue le premier symbole de la lutte contre l'EI, chassé le 26 janvier 2015 après plus de quatre mois de combats menés par les forces kurdes, avec le soutien des raids de la coalition internationale.

- PALMYRE: La ville antique de Palmyre (centre) est reprise le 2 mars 2017 par le régime et son allié russe à l'EI. Elle a changé de mains plusieurs fois depuis le début du conflit en 2011: conquise en mai 2015 par l'EI, elle a été reprise par le régime en mars 2016 avant de retomber aux mains des djihadistes en décembre. Ils y ont détruit une partie des richesses archéologiques, classées au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.

- DABIQ: Proche de la frontière turque, Dabiq, perdue par l'EI en octobre 2016, avait une portée symbolique pour les djihadistes, car, selon une prophétie de l'islam, l'armée des musulmans doit y triompher face à des infidèles, qu'ils assimilaient à la coalition.

- PROVINCE D'ALEP: Le 30 juin, l'EI se retire totalement de la province après des défaites face à l'armée turque qui y avait lancé une offensive.

- BATAILLE DE RAQQA: Le 5 novembre 2016, les combattants kurdes et arabes des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis, lancent l'offensive contre la «capitale» de l'EI en Syrie. Depuis, les FDS affirment s'être emparées de 60% de la cité.

Libye

- SYRTE: Le chef du gouvernement d'union nationale a annoncé le 17 décembre 2016 la «libération» de la ville Syrte, prise en juin 2015 par l'EI.

AFP, Ahmad Al-Rubaye

Cette photo prise le 9 juillet dernier montre la destruction dans la ville de Mossoul. La bataille terminée contre le groupe armé État islamique, c'est maintenant le temps de reconstruire.

REUTERS

Le 5 novembre 2016, les combattants kurdes et arabes des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis, lancent l'offensive contre Raqqa, la «capitale» de l'EI en Syrie. Depuis, les FDS affirment s'être emparées de 60% de la cité.

Les grandes dates de l'EI en Irak

Les dates-clés du groupe djihadiste État islamique (EI) en Irak après l'annonce jeudi par les forces irakiennes de la reprise de la ville de Tal Afar, dans le nord du pays.

Création de l'EIIL

Le 9 avril 2013, le chef d'Al-Qaïda en Irak, Abou Bakr al-Baghdadi, annonce une fusion de son groupe, l'État islamique en Irak (ISI), avec le Front al-Nosra, qui combat le régime en Syrie, pour former l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Mais Al-Nosra décline le parrainage de Baghdadi et prête allégeance au chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. L'EIIL est désavoué par Al-Qaïda début 2014.

Avancée fulgurante

Le 10 juin 2014, des centaines d'insurgés sunnites, appartenant notamment à l'EIIL, s'emparent de la deuxième ville du pays, Mossoul, et d'une grande partie de sa province, Ninive (nord). Ils prennent le contrôle de plusieurs secteurs dans deux provinces proches, Kirkouk et Salaheddine. À de nombreux endroits, les forces de sécurité abandonnent leurs positions.

L'EIIL, qui bénéficie du soutien d'ex-officiers du dictateur déchu Saddam Hussein, de groupes salafistes et de certaines tribus, contrôlait déjà depuis janvier Fallouja et des zones de la province occidentale d'Anbar, voisine de Ninive.

«Califat»

Le 29 juin 2014, l'EIIL proclame un «califat» dirigé par son chef Baghdadi sur les territoires conquis en Irak et en Syrie. Le groupe se prénomme désormais «État islamique» (EI).

Le 5 juillet, Baghdadi apparaît pour la première fois dans une vidéo postée sur des sites djihadistes. Depuis la mosquée al-Nouri à Mossoul, il appelle tous les musulmans à lui «obéir».

Des sites ravagés

En juillet 2014, l'EI dynamite à Mossoul la tombe du prophète Jonas, aussi connu sous le nom de Nabi Younès. Il saccage aussi des trésors pré-islamiques du musée et incendie la bibliothèque. Le site archéologique de Nimroud, joyau de l'empire assyrien, et la cité de Hatra de la période romaine, seront également attaqués par les djihadistes.

Coalition

Le 8 août 2014, les États-Unis s'impliquent directement pour la première fois depuis le retrait de leurs troupes en 2011, en bombardant des positions de l'EI. Bagdad réclamait ces frappes. Début septembre, Barack Obama promet de vaincre l'EI avec «une vaste coalition internationale».

Série de défaites

Le 31 mars 2015, les forces irakiennes reprennent la ville à majorité sunnite de Tikrit (nord de Bagdad) à l'EI. L'opération implique Téhéran via les milices chiites et Washington avec la coalition antidjihadistes.

Le 13 novembre, les forces kurdes appuyées par la coalition reprennent Sinjar (nord).

Le 9 février 2016, Ramadi, chef-lieu de la province occidentale d'Al-Anbar, est reprise aux djihadistes puis Fallouja dans la même province le 26 juin.

Attentats sanglants

Le 11 mai 2016, trois voitures piégées tuent plus de 90 personnes à Bagdad. Le 3 juillet 2016, plus de 320 personnes meurent dans un attentat suicide dans un quartier majoritairement chiite de la capitale. L'EI revendique les deux attentats.

Le groupe djihadiste sunnite continue de viser les chiites, majoritaires en Irak, qu'il considère comme hérétique.

Reprise de Mossoul

Le 17 octobre 2016, les forces fédérales soutenues par les frappes de la coalition, lancent une grande offensive pour reconquérir Mossoul.

Le 10 juillet, la victoire est proclamée par le premier ministre irakien Haider al-Abadi.

Tal Afar et la province de Ninive reconquises

Le 20 août 2017, les forces irakiennes lancent l'assaut sur le bastion djihadiste de Tal Afar (nord), stratégique pour l'EI.

Le 31 août 2017, les services du premier ministre Haider al-Abadi annoncent la reconquête complète de Tal Afar et de Ninive, une des plus importantes provinces que contrôlait l'EI.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Un combattant du groupe armé État islamique.