La Cour suprême des États-Unis a offert lundi une victoire politique à Donald Trump, en remettant partiellement en vigueur son décret anti-immigration très controversé.

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La haute juridiction siégeant à Washington a par ailleurs annoncé qu'elle examinerait en audience ce dossier explosif en octobre.

Il s'agit d'une «nette victoire pour notre sécurité nationale», s'est félicité M. Trump. Le président républicain ne cesse d'affirmer que cette mesure est nécessaire pour empêcher l'arrivée de «terroristes» étrangers, en dépit des doutes des experts sur le sujet.

«Je ne peux laisser entrer dans notre pays des gens qui nous veulent du mal», a ajouté Donald Trump.

Le décret interdisant temporairement l'entrée aux États-Unis des ressortissants de six pays musulmans - Syrie, Libye, Iran, Soudan, Somalie et Yémen - s'appliquera vis-à-vis de quiconque «n'ayant pas établi de relation de bonne foi avec une personne ou une entité aux États-Unis».

En clair, tout habitant de ces pays qui serait totalement inconnu des autorités américaines se verra refuser l'accès au territoire.

À l'opposé, un ressortissant de ces pays venant rendre visite à un membre de sa famille établi en Amérique pourra venir, tout comme le pourra un étudiant admis dans une université américaine.

Le ministère américain des Affaires étrangères a indiqué que la mise en application du décret interviendrait «de manière ordonnée» 72 heures après la décision de la Cour suprême, c'est-à-dire jeudi.

Vérifier un «lien de bonne foi» entre un visiteur potentiel et les États-Unis pourrait être source d'arbitraire, a mis en garde Steven Choi, directeur de la New York Immigration Coalition (NYIC), une organisation ayant milité contre le décret.

«Chemin intermédiaire» 

Selon Camille Mackler, une responsable de la NYIC, les personnes affectées devraient être surtout des demandeurs de visa de tourisme des six pays listés.

L'impact sur les aéroports devrait être limité, prévoient les spécialistes.

Pour David Cole, directeur juridique de l'ACLU, la grande organisation américaine de défense des libertés, les problèmes pourraient survenir seulement en octobre. Lundi les juges ont «choisi un chemin intermédiaire» entre ce que demandaient le gouvernement (confirmer le décret) et l'ACLU (maintenir sa suspension).

Cette demi-victoire juridique marque un succès politique pour Donald Trump, dont la mesure emblématique avait été suspendue par de multiples juges, en première instance et en appel.

Les plus hauts magistrats du pays offrent au président américain une chance d'emporter une victoire judiciaire finale venant annuler les camouflets subis.

Dans un tweet, le président s'est dit «reconnaissant» pour ce jugement rendu «9 à 0».

Les opposants au décret ont donc promis de continuer leur lutte.

«L'interdiction d'entrée aux musulmans viole le principe constitutionnel fondamental selon lequel le gouvernement ne peut favoriser ou agir de façon discriminatoire à l'encontre d'une religion. Les tribunaux ont successivement bloqué cette interdiction discriminatoire et indéfendable. La Cour suprême a désormais l'occasion de l'annuler définitivement», a commenté lundi Omar Jadwat, l'avocat de l'ACLU.

La mesure qui a tant fait couler d'encre est censée s'appliquer durant 90 jours pour les citoyens des six pays et 120 jours pour les réfugiés dde entier, le temps que l'administration redéfinisse ses procédures de filtrage des arrivants.

Audience... trop tard? 

Par conséquent, l'examen du texte à l'automne pourrait paradoxalement intervenir après la fin de la totalité de son application.

Le fameux décret a connu deux moutures, qui avaient été bloquées par les tribunaux en février et en mars. Deux suspensions dénoncées par Donald Trump comme symptomatiques d'une «justice politisée».

Le texte a fédéré un vaste front d'opposition, en première ligne duquel on trouve des États démocrates, notamment sur la côte ouest du pays où le président est particulièrement impopulaire. Le ministre de la Justice de l'État de Washington, Bob Ferguson, s'est dit «très déçu» par la réinstauration partielle du décret, même si les protections restantes sont «importantes».

Dans chacun des revers que lui ont infligés les juges, la rhétorique anti-musulmane du président, qu'il n'a jamais clairement reniée, a beaucoup pesé.

Fin janvier, la première version du décret avait provoqué une onde de choc dans le monde et un chaos dans les aéroports américains. Avant d'être suspendue.

L'organisation International Refugee Assistance Project (IRAP) a ainsi rappelé lundi que des dizaines de milliers d'Américains s'étaient mobilisés contre ce décret, «montrant ainsi au monde que ce n'est pas ce que nous sommes ni ce que nous voulons».

Quelques semaines après son entrée en fonction en janvier, Donald Trump a nommé un nouveau juge à la Cour suprême, Neil Gorsuch, faisant pencher l'institution du côté conservateur.

Les trois juges les plus à droite de la Cour suprême, Clarence Thomas, Samuel Alito et Neil Gorsuch, ont d'ailleurs fait savoir leur opposition à la décision de «compromis» annoncée lundi. Ils étaient en faveur d'une remise en vigueur intégrale du décret.

L'odyssée judiciaire du décret migratoire

- 27 janvier 2017 : Donald Trump signe devant les caméras un décret de «Protection de la nation contre l'entrée aux États-Unis de terroristes étrangers». Le texte ferme les frontières américaines pour trois mois aux ressortissants de sept pays musulmans et pour quatre mois aux réfugiés. Un chaos s'ensuit dans les aéroports, ainsi que des réactions outrées dans le monde. Plusieurs États démocrates et associations saisissent la justice.

- 3 février : un magistrat fédéral de Seattle, James Robart, suspend l'application du décret au plan national. Une décision «ridicule» selon Trump, qui raille un «pseudo-juge».

- 5 février : la cour d'appel de San Francisco refuse d'annuler l'ordonnance de suspension prise en urgence.

- 7 février : audience devant la cour d'appel de San Francisco consacrée à la suspension du décret.

- 8 février : Donald Trump dénonce une justice «politisée».

- 9 février : la cour d'appel de San Francisco maintient la suspension du décret migratoire. «RENDEZ-VOUS AU TRIBUNAL, LA SÉCURITÉ DE NOTRE NATION EST EN JEU!», tweete M. Trump en réaction.

- 10 février : Dénonçant une «décision scandaleuse», Donald Trump dit n'avoir «aucun doute» sur la victoire finale de son décret. La Maison-Blanche hésite toutefois sur la stratégie à suivre.

- 16 février : le gouvernement renonce à saisir la Cour suprême et annonce un prochain nouveau décret migratoire révisé.

- 6 mars : le président signe une nouvelle mouture du texte, qui interdit pendant 90 jours l'entrée aux États-Unis aux voyageurs de six pays musulmans et non plus sept.

- 16 mars : un juge, cette fois à Hawaï, bloque la deuxième version du décret migratoire. Un autre magistrat, dans l'État du Maryland, prend une décision similaire en estimant que le texte vise de façon discriminatoire les musulmans. Le gouvernement Trump annonce qu'il fera appel des jugements.

- 8 mai : l'administration Trump défend son décret anti-immigration lors d'une audience solennelle devant la cour d'appel fédérale de Richmond, en Virginie. La mesure est «vitale» pour la sécurité nationale, plaide le gouvernement, face à des magistrats dubitatifs.

- 15 mai : nouveau rendez-vous judiciaire en appel, cette fois sur la côte ouest des États-Unis. Le président vise « les groupes islamiques terroristes et des pays qui les hébergent ou les soutiennent » et non les musulmans, assure l'avocat du ministère américain de la Justice.

- 25 mai : la cour d'appel de Richmond confirme la suspension du décret migratoire, infligeant au président un nouveau camouflet retentissant.

- 2 juin : l'administration Trump demande à la Cour suprême, la plus haute juridiction des États-Unis, de se saisir du dossier.

- 12 juin : la Cour d'appel de San Francisco confirme à son tour le blocage de l'application du texte.

- 26 juin : la Cour suprême des États-Unis accepte d'examiner le texte en audience à l'automne et remet le décret partiellement en vigueur d'ici là, expliquant qu'il s'applique désormais vis-à-vis de quiconque «n'ayant pas établi de relation de bonne foi avec une personne ou une entité aux États-Unis» et venant de ces six pays majoritairement musulmans.