La police américaine a-t-elle le droit de pister un citoyen pas à pas, mois après mois, grâce à son téléphone cellulaire? La Cour suprême à Washington a annoncé lundi qu'elle examinerait pour la première fois cette question très sensible.

L'enjeu de ce dossier, qui oppose défenseurs des libertés fondamentales et partisans des besoins supérieurs d'une enquête policière, est énorme.

Chaque année, les services de police aux États-Unis obtiennent des principaux opérateurs de téléphonie mobile des relevés de géolocalisation de dizaines de milliers de personnes. Ceci est souvent dénoncé comme une grave atteinte au respect de la vie privée.

«Ces données peuvent révéler des éléments détaillés extrêmement intimes sur la vie des gens, de là où ils dorment jusque là où ils prient», a réagi lundi l'ACLU, la grande organisation américaine de défense des libertés, qui s'est félicitée que l'affaire monte jusqu'à la Cour suprême.

À l'opposé, la géolocalisation des personnes par le «bornage» de leur téléphone portable, c'est-à-dire par l'activation des antennes relais installées au sol, ou par les relevés GPS de l'appareil, est d'une grande aide pour les enquêteurs. Cette faculté technique remplit pour eux le rôle d'une filature.

Beaucoup d'Américains estiment néanmoins que l'accès à ces données de géolocalisation devrait n'être permis que sur mandat judiciaire et non par simple demande de la police.

Le dossier que la haute cour a ajouté lundi à son calendrier d'audiences concerne un homme, Timothy Carpenter, qui a été arrêté en 2011 et condamné pour des vols à main armée dans la région de Detroit.

Traqué 127 jours

Les enquêteurs avaient retracé les mouvements du suspect en obtenant sa géolocalisation par le bornage de son téléphone durant 127 jours.

Au total, ils avaient réuni pas moins de 12 898 points de localisation de M. Carpenter. Ces éléments avaient pesé lourd dans la démonstration de sa culpabilité.

Lors de nombreux dimanches en début d'après-midi, Timothy Carpenter a donné ou reçu un appel près d'une église, contrairement aux autres jours de la semaine, «ce qui implique qu'il était en train de prier à ces moments-là», note l'ACLU.

Les relevés montrent par ailleurs qu'il a dormi chez lui du 23 au 27 décembre 2010, mais qu'en revanche il a passé la nuit du 22 décembre dans un autre quartier de Detroit, poursuit l'ACLU.

Les avocats du condamné ont saisi la justice en affirmant qu'une telle collecte de données s'apparentait à une perquisition et que, effectuée sans mandat, elle violait donc le quatrième amendement de la Constitution.

Cet amendement protège les citoyens contre des perquisitions non motivées par une sérieuse justification, et exige un mandat pour toute perquisition.

Comme une perquisition?

«Etant donné que les relevés des téléphones cellulaires peuvent dévoiler un nombre incalculable de détails de notre vie, la police devrait n'y avoir accès qu'à la condition d'obtenir un mandat fondé sur un motif valable», a souligné Nathan Freed Wessler, avocat de l'ACLU.

«L'heure est venue pour la Cour suprême de faire valoir de façon claire que les protections prévues par le quatrième amendement s'appliquent avec toute leur force pour ce genre de données numériques sensibles», a-t-il ajouté.

Ce dossier sera l'un des principaux de la session 2017/2018 de la Cour suprême. La date d'audience reste à fixer et les juristes s'attendent à ce que la décision ait une grande portée sur la collecte d'informations privées aux États-Unis.

En 2012, la haute juridiction avait interdit la pose d'un dispositif GPS de repérage sur un véhicule, sans consigne judiciaire. Deux ans après, les juges avaient imposé aux policiers d'obtenir un mandat pour consulter les données contenues dans le téléphone intelligent d'une personne interpelée.