En n'ayant apparemment pas su tenir sa langue en présence du chef de la diplomatie russe, Donald Trump a plongé dans la consternation les milieux du renseignement, et notamment des sources d'informations cruciales à l'étranger.

Il existe en effet une règle implacable selon laquelle on ne divulgue jamais à un tiers des données confidentielles livrées par un pays ami, sans l'autorisation dudit pays allié, explique à l'AFP Douglas Smith, ancien secrétaire-adjoint du Département américain de la Sécurité intérieure.

Quant «aux moyens et aux méthodes pour collecter des informations, elles représentent le Graal du processus de renseignement, c'est ce que vous protégez plus que tout», souligne-t-il.

Le président américain se voit reprocher d'avoir révélé à Sergueï Lavrov, lors d'un entretien à la Maison-Blanche, comment l'État islamique pourrait commettre un attentat en introduisant dans un avion un ordinateur portable.

Cette information hautement confidentielle, obtenue d'un pays étranger - peut-être Israël -, était jugée tellement sensible que les États-Unis s'étaient gardés de la partager avec y compris leurs alliés les plus proches.

Pour différents experts, il s'agit d'une «rupture de confiance» difficilement réparable.

«Imaginons que vous soyez mon ami et que vous me confiez un secret à la condition que je n'en parle à personne. Que ressentirez-vous si j'en parle publiquement à plein de gens?», poursuit Douglas Smith.

«Rupture de confiance»

«Eh bien appliquez cela au domaine de la sécurité nationale: que va ressentir un pays qui voit qu'une information, qu'il a probablement obtenue de façon extrêmement secrète et très difficilement, est donnée de manière cavalière à un régime étranger qui n'est pas de notre camp?», ajoute-t-il.

M. Trump s'est employé mardi à démentir toute négligence. Les informations transmises n'ont pas mis en cause «la sécurité nationale», a affirmé le conseiller à la Sécurité nationale, le général McMaster.

Mais la polémique intervient une semaine après la limogeage chaotique du patron du FBI et alors que les services américains ont été échaudés par de précédentes accusations apparemment infondées du milliardaire président.

Donald Trump avait déclenché un tollé en mars en accusant l'ex-président Barack Obama de l'avoir mis sur écoute, avec le recours de l'agence de surveillance britannique, le GCHQ.

D'où le danger qu'une défiance s'installe, pas qu'intérieure aux États-Unis.

«Son attitude va certainement amener à réévaluer la qualité ou l'ampleur des flux de renseignements à destination des services américains. On va continuer à parler à la CIA ou à la NSA, il n'y a pas de raison que cela s'arrête, mais cela devrait poser des problèmes en termes de transmission de choses très pointues», analyse Yves Trotignon, membre du cabinet Riskeco.

Cet ancien expert antiterroriste à la DGSE française évoque un «comportement parfaitement irresponsable» du président Trump, «du jamais vu dans les annales du renseignement post-seconde Guerre mondiale».

Karin Von Hippel, du centre d'étude britannique RUSI, prévoit elle «une certaine nervosité» au sein du «Five Eyes», ainsi qu'est nommée l'alliance des services de renseignement américain, australien, canadien, néo-zélandais et britannique.

En plus de mettre potentiellement en danger un ou des informateurs clandestins, le bavardage de Donald Trump pourrait plus largement mettre en difficulté le pays à la source de l'information si spontanément déclassifiée.

«Des pays du Moyen-Orient agissent sur le fil du rasoir, ils ne veulent pas être vus comme fournissant ouvertement des informations à des pays occidentaux car cela les placerait en défaut vis-à-vis de leur population», souligne M. Smith.

Improvisation présidentielle 

Selon cet ex-responsable du renseignement américain, M. Trump s'est de nouveau laissé guider par son instinct, alors que la rencontre avec M. Lavrov, aux confins de la diplomatie et de l'espionnage, nécessitait au contraire une grosse préparation préalable.

Les spécialistes notent que, malgré leurs satellites, leurs moyens d'écoutes et la puissance de leur réseau, les États-Unis demeurent grandement dépendants des services de renseignement extérieurs pour leur sécurité.

La langue bien pendue de Donald Trump risque «d'altérer la volonté des alliés et partenaires des États-Unis de partager des informations», avertit le sénateur républicain John McCain.

Du fait de l'interdépendance des services, la coopération internationale sera en tout cas au minimum teintée d'embarras.

«Il n'est pas évident de dire à un pays qui est un allié très proche, avec lequel les liens sont quotidiens et extrêmement étroits notamment en matière d'antiterrorisme: «Votre président n'est pas de toute confiance»», affirme Yves Trotignon.