Refoulée à la frontière américaine, une citoyenne française s'est fait conseiller par le consulat général des États-Unis à Montréal «d'éviter les postes-frontières du Vermont», car des agents y feraient de la discrimination.

Une citoyenne française, son mari canadien et deux autres citoyennes canadiennes étaient en route pour une longue fin de semaine de Pâques à Ogunquit, dans le Maine, le 12 avril dernier. Leur voyage a plutôt pris fin après des heures « surréelles et humiliantes » de détention au poste-frontière de Highgate Springs, au Vermont.

« Le douanier m'a interrogée en boucle pendant trois heures, explique la citoyenne française, qui désire garder l'anonymat et dont l'histoire a pu être authentifiée par La Presse. Il m'a escortée jusqu'aux toilettes et a fouillé les toilettes après utilisation. Les trois Canadiens qui m'accompagnaient, dont mon mari, n'avaient pas le droit de quitter leur siège sans en demander l'autorisation. »

Le douanier lui a dit qu'il essayait « d'établir [sa] citoyenneté », et l'accusait de chercher à immigrer aux États-Unis. « Je suis née en France de parents nés en Algérie française, j'ai grandi en Normandie, je n'ai qu'une nationalité française, dit-elle. Et je n'essayais pas du tout d'immigrer aux États-Unis. Après trois heures, il m'a dit que mon Système électronique d'autorisation de voyage (SEAV), censé accélérer les choses pour les Français à la frontière, était révoqué, alors qu'il devait être valide pour encore un an. J'ai séjourné plusieurs fois aux États-Unis l'an passé, dont une dernière fois à la fin de décembre. Je n'avais jamais été inquiétée auparavant. »

Quand le douanier a voulu lui faire signer une déclaration sous serment censée résumer ses réponses, elle a réalisé avec stupéfaction que le document, rédigé en anglais, lui faisait dire le contraire de ce qu'elle s'évertuait à affirmer. « J'ai dû lui faire réécrire le document trois fois. C'était surréel. Mon impression, c'est qu'il essayait de me piéger, de me faire signer quelque chose qui pourrait se retourner contre moi. » Le douanier l'a renvoyée au Canada, non sans avoir pris sa photo et enregistré les empreintes digitales de ses 10 doigts.

Le lendemain, elle s'est rendue au consulat des États-Unis à Montréal pour tenter d'avoir des explications. Autre surprise : un employé du consulat lui a suggéré d'éviter de passer par les postes-frontières du Vermont.

« [L'employé du consulat] m'a dit que des centaines de personnes y avaient été recalées de manière injuste au cours des derniers mois. Il a insinué très clairement qu'il y avait de la discrimination. »

« Il m'a suggéré de retourner le lendemain par Lacolle [qui mène à l'État de New York], poursuit-elle. Il a dit qu'à Lacolle, ils me laisseraient passer. C'est fou. C'est complètement fou. »

« Pas un simple interrogatoire»

Plusieurs citoyens canadiens d'origine étrangère ont été refoulés au poste-frontière de Highgate Springs, au Vermont, au cours des derniers mois.

Le 4 février, Fadwa Alaoui, une Canadienne née au Maroc et qui habite Brossard, allait au Vermont pour une séance mensuelle de magasinage. Le douanier américain l'a questionnée sur sa foi musulmane et sur ses opinions au sujet de Donald Trump. Après quatre heures de détention avec ses deux enfants, Mme Alaoui été renvoyée au Canada.

« Ce n'était pas un simple interrogatoire, dit-elle. Nous étions détenus. Nous n'avions accès à rien, nous n'avions plus notre téléphone, nous ne pouvions pas nous en aller...  [Les douaniers] ont pris ma photo et mes empreintes digitales. C'était désagréable. Ça ne m'était jamais arrivé. »

Manpreet Kooner, 30 ans, une Canadienne d'origine indienne qui habite LaSalle, a aussi vécu une expérience semblable au poste de Highgate Springs, le 5 mars.

Les renvois semblent se produire aussi aux autres postes-frontières. En janvier, huit femmes - six Canadiennes et deux Françaises - ont été refoulées sans explication à la douane de Champlain, près de Lacolle, après avoir dit qu'elles allaient participer à la Marche des femmes à Washington. Deux hommes montréalais de nationalité canadienne ont connu le même sort à ce même poste, après qu'un agent leur a demandé s'ils étaient « pro-Trump ou anti-Trump ».

Agence «problématique»

Lia Ernst, avocate à la division du Vermont de l'American Civil Liberties Union (ACLU), à Montpelier, explique que son organisation poursuit le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) afin de mettre au jour les politiques mises en place depuis la signature du décret migratoire de Donald Trump.

« Nous savons que les mesures changent selon les régions [de la frontière], dit-elle. Nous essayons de savoir s'il y a des différences dans la façon dont les régions appliquent les directives. »

Même avant l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis agissait d'une manière qui semble être discriminatoire et arbitraire, dit-elle.

« Le Service des douanes est depuis longtemps une agence problématique qui semble déployer une autorité que la loi ne lui confère pas, selon nous. Est-ce que les choses ont empiré depuis l'élection [de Trump] ? C'est possible, mais à ce stade-ci, nous ne savons pas s'il y a une différence, ou bien si c'est seulement parce que nous en entendons parler davantage. »

Durant l'année fiscale 2016, 27 712 personnes cherchant à entrer aux États-Unis depuis le Canada ont été refoulées aux postes-frontières. C'est légèrement plus qu'en 2015, mais essentiellement le même nombre qu'en 2014, quand 27 659 personnes avaient été refoulées, selon le Service des douanes.

«Aucune discrimination»

Pour Elizabeth Moore Aubin, chargée d'affaires des États-Unis à Ottawa, la perception selon laquelle un nombre accru de Canadiens sont refoulés à la frontière américaine est incorrecte. 

« Seule une fraction de 1 % de Canadiens se fait refuser l'entrée aux États-Unis, et ce nombre est en fait à la baisse. 

« Près de 13 millions de Canadiens ont été traités à la frontière au cours des cinq plus récents mois pour lesquels des données sont disponibles [les données vont d'octobre 2016 à février 2017] et, de ce nombre, seuls 6875 ont été jugés inadmissibles (0,05 %). Le taux de refus pour les Canadiens a diminué de 8,5 % comparativement à la même période l'année précédente. [...] Plus de 1 million de voyageurs sont traités aux frontières américaines chaque jour par des agents de la CBP et environ 400 000 personnes traversent la frontière entre les États-Unis et le Canada chaque jour. [...] La CBP ne fait aucune discrimination basée sur la religion, la race, l'ethnicité ou l'orientation sexuelle quant à l'entrée aux États-Unis de citoyens d'autres pays. »

Stephanie Malin, porte-parole du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, signale que tous les voyageurs arrivant aux États-Unis doivent posséder des documents de voyage valides.

« Les gens qui se présentent à un poste-frontière doivent faire la preuve qu'ils sont admissibles à l'entrée aux États-Unis. Afin de démontrer qu'il est recevable, le demandeur doit surmonter tous les motifs d'irrecevabilité. »

Le Service des douanes « est engagé dans le traitement juste, impartial et respectueux de tous les voyageurs », écrit-elle.

Plaintes déposées

Pour la citoyenne française dont le cas est cité plus haut, l'expérience de recalage au poste-frontière de Highgate Springs était « humiliante ».

Elle a déposé une plainte auprès du département de la Sécurité intérieure des États-Unis, et une autre après du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Elle a aussi déposé une requête en vertu de la Loi sur la liberté d'information (FOIA) pour connaître la raison de son refoulement.

« Je n'ai pas envie d'essayer d'aller aux États-Unis à nouveau avant d'avoir la certitude que cela ne se reproduira plus », dit-elle.