Donald Trump a-t-il, oui ou non, volontairement visé les musulmans dans son décret migratoire retoqué par les juges? Cette question cruciale a été âprement débattue lundi devant une cour d'appel dans laquelle le président américain place ses espoirs de revanche.

L'intention présumée est ici essentielle, la Constitution des États-Unis interdisant la discrimination religieuse. Pour les opposants au décret, l'animosité de M. Trump vis-à-vis de l'islam ne fait aucun doute.

À l'inverse, s'il est prouvé que le décret répond simplement à un problème de sécurité nationale lié à l'immigration d'individus potentiellement dangereux, aucune raison de ne pas le valider: les textes laissent au président une grande latitude d'action en la matière.

C'est ce qu'a plaidé Jeffrey Wall, l'avocat du département de la Justice chargé de défendre la plus controversée des mesures présidentielles.

L'audience solennelle s'est tenue devant la cour d'appel fédérale de Richmond, capitale de la Virginie, après que deux versions du fameux décret ont été bloquées par les tribunaux en février et mars. Deux suspensions dénoncées par Donald Trump comme symptomatiques d'une «justice politisée».

Etant donnée l'importance de l'affaire, la cour de Richmond a siégé directement en formation plénière, avec 13 de ses 15 hauts magistrats actifs, deux s'étant récusés.

Ces juges ont examiné sous toutes ses coutures la deuxième mouture du décret, qui prévoit de fermer temporairement les frontières américaines aux réfugiés du monde entier et aux citoyens de six pays majoritairement musulmans: Iran, Libye, Syrie, Somalie, Soudan et Yémen. 

Vaste front d'opposants 

La juge Barbara Milano Keenan a mis au défi M. Wall d'établir un lien entre la nationalité des dizaines de millions de personnes concernées et leur dangerosité présumée.

Le gouvernement doit convaincre que le décret est «vital» pour la sécurité nationale, un argument qui s'affaiblit au fil des jours se suivant sans attentat djihadiste aux États-Unis.

Mais ce texte a fédéré un vaste front d'opposition, en première ligne duquel on trouve des États démocrates, notamment sur la côte ouest du pays où le président est particulièrement impopulaire.

Parmi les détracteurs du décret figurent aussi des organisations de défense des réfugiés, des militants des libertés, des universités et des groupes économiques actifs dans les nouvelles technologies, qui emploient beaucoup d'étrangers.

Fin janvier, la première version de ce décret avait provoqué une onde de choc dans le monde et un chaos dans les aéroports américains.

Son application avait été suspendue le 3 février par un juge fédéral de Seattle, dans l'État de Washington.

La seconde version du décret a elle été bloquée par un juge de Hawaï et un juge de l'État du Maryland, dans l'est du pays.

Le jugement de Hawaï sera examiné en appel dans une semaine à Seattle, par un collège de trois juges fédéraux.

Le sens des mots 

La cour d'appel de Richmond s'est elle penchée sur la décision du 16 mars du juge du Maryland Theodore Chuang, qui a suspendu le décret en prenant notamment en compte la rhétorique antimusulmane de Donald Trump depuis sa campagne électorale.

Le juge Chuang avait été saisi par une coalition d'organisations de défense des libertés et des réfugiés, dont la puissante American Civil Liberties Union (ACLU).

Lors des débats lundi, l'avocat de l'ACLU, Omar Jadwat, a rappelé les promesses de campagne de Donald Trump.

«Il a dit "L'islam nous hait"», a dit M. Jadwat. «Il a dit qu'il allait bannir les musulmans (d'entrée aux États-Unis). Point à la ligne».

Une fois arrivé à la Maison-Blanche, Donald Trump a tempéré ses propos. Mais, pour M. Jadwat, les préjugés antimusulmans du président sont toujours là.

Ainsi, a-t-il cité en exemple, au moment de signer son décret, Donald Trump en a lu l'intitulé, «Protéger la nation contre l'entrée aux États-Unis de terroristes étrangers», et a immédiatement ajouté: «On sait tous ce que cela veut dire».

Pour M. Wall, c'est clair : Trump parlait des terroristes étrangers visés par le décret. Mais, a relevé M. Jadwat, dans ce cas «ce n'était pas la peine de préciser qu'on voyait de qui il s'agissait».

Les deux avocats ont plaidé l'un avec le soutien d'une douzaine d'États démocrates, l'autre avec l'appui d'une douzaine d'États républicains, devant une majorité de juges nommés par des présidents démocrates. Leur décision n'est pas attendue avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

AP

Pour l'avocat de l'ACLU, Omar Jadwat, les préjugés antimusulmans du président sont toujours là.