Des rendez-vous secrets, des téléphones sur écoute, un Russe omniprésent, l'affable gendre du président... L'affaire des liens entre proches de Donald Trump et la Russie prend l'allure d'un thriller politique. Avec la plupart des chapitres encore à venir.

La question de départ est simple: qui, dans l'entourage du candidat républicain à l'élection présidentielle de 2016, a parlé aux Russes, quand, et pourquoi?

Le FBI enquête depuis l'été pour remonter le fil d'une éventuelle collusion visant à battre Hillary Clinton. En théorie, les investigations sont secrètes. Mais les gens parlent. Au New York Times, au Washington Post, à CNN...

Petit à petit, au fil des semaines, la galerie de personnages aspirés dans la tentaculaire affaire se découvre.

Après l'ancien président de l'équipe de campagne, Paul Manafort, il y a Michael Flynn, ancien directeur du renseignement militaire passé chez Donald Trump, qui a trop parlé à l'ambassadeur russe à Washington, Sergueï Kisliak, en décembre.

Le général a menti au vice-président sur la teneur de ces conversations. On le sait car des gorges profondes ont raconté avoir vu la retranscription de leurs coups de fil, dûment écoutés par les services. Le président l'a congédié.

Le diplomate russe, dont la silhouette ronde apparaît régulièrement dans les grands événements washingtoniens, a en fait rencontré beaucoup de monde dans l'entourage de l'homme d'affaires: le sénateur qui est aujourd'hui ministre de la Justice, Jeff Sessions, l'a vu en 2016; et le mari d'Ivanka, fille aînée du président, Jared Kushner, l'a reçu à la Trump Tower.

Le jeune homme, né en 1981, est l'un des conseillers les plus proches de son beau-père, homme de confiance qui ne donne jamais d'interviews. Intermédiaire diplomatique, il a rencontré pendant la transition une myriade de responsables étrangers.

Mais on a appris cette semaine qu'il avait aussi vu Sergueï Gorkov, patron de la banque VnechEconomBank (VEB)... sanctionnée par les États-Unis.

Jared Kushner va devoir s'en expliquer devant l'une des commissions du Congrès qui enquêtent sur la Russie.

Fumée sans feu 

Avec l'implication du Congrès, l'affaire bascule irrémédiablement du côté partisan.

Le dernier en date à être pris dans les filets est un parlementaire californien du nom de Devin Nunes, 43 ans, dont le sourire crispé et le regard fuyant occupent depuis plusieurs jours les écrans de télévisions.

Habilité au secret défense, le républicain préside la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, dont il dirige l'enquête russe. Mais les démocrates le jugent partial et ont demandé sa tête.

Mardi dernier, en fin de journée, il est soudainement descendu d'un Uber, selon les témoignages anonymes de collaborateurs, direction: le complexe de la Maison-Blanche. Un bâtiment annexe, une pièce sécurisée. Pour y consulter des documents confidentiels, présentés par une source mystérieuse.

«Je ne suis pas entré en douce», s'est-il défendu sur CNN. «Il faisait jour, et j'ai salué des gens sur le chemin».

Ces documents l'ont convaincu le lendemain d'annoncer que l'entourage de Donald Trump figurait bien dans des communications interceptées dans d'autres affaires... une annonce interprétée par les démocrates comme un coup de pouce au président, qui clame, sans preuve, qu'il a été placé sur écoute par Barack Obama.

Cette visite au coeur du pouvoir exécutif, sans informer son homologue démocrate de la commission, a relancé les appels à la création d'une commission d'enquête spéciale.

«Je suis un vieux briscard, et je n'ai jamais vu ça», a commenté mardi John McCain, au Congrès depuis 1983. «Cette histoire devient un mille-pattes, on en découvre chaque jour un peu plus».

À ce jour, aucun élément n'a émergé prouvant la moindre coordination entre proches de Donald Trump et Russes.

Mais ceux qui ont accès aux investigations confirment que l'affaire n'est pas l'invention dénoncée par le locataire de la Maison-Blanche.

«Il y a quelques semaines, j'ai déjà dit que je n'avais jamais travaillé sur une chose aussi importante», a dit Mark Warner, vice-président démocrate de la commission du Renseignement du Sénat, sur NBC. «Avec ce que je sais maintenant, j'en suis doublement convaincu».

«Il y a plus de fumée?, a relancé le journaliste.

- Il y a beaucoup plus de fumée», a répondu Mark Warner, en promettant que le temps dirait si, derrière toute cette fumée, se cache un véritable feu.

AP

Devin Nunes