Le coup de balai de Donald Trump au sein du département de la Justice, vendredi, lui a de nouveau valu une déferlante de critiques. Le 45des États-Unis a l'habitude des controverses, mais cet appel massif à la démission de fonctionnaires n'avait pourtant rien d'inhabituel... ou presque. La Presse a décortiqué la situation avec deux experts en politique américaine:Rafael Jacob et Donald Cuccioletta, chercheurs associés à la Chaire Raoul-Dandurand.

Vendredi, Donald Trump a demandé à 46 procureurs fédéraux nommés par Barack Obama de démissionner. Est-ce une décision hors du commun pour un nouveau président ?

Rafael Jacob: C'est entièrement normal que des procureurs fédéraux soient appelés à quitter leurs fonctions, surtout quand c'est une administration d'un parti différent qui les a nommés. Il est extrêmement rare que les procureurs nommés par un autre parti restent. Ce n'est pas comme au Canada, où un fonctionnaire va rester en poste, peu importe quel est le parti politique au pouvoir.

Donald Cuccioletta: Il n'y a rien d'exceptionnel. C'est l'État construit par Obama. Ça fait partie du jeu. Ça fait partie d'un nouveau régime, d'une nouvelle administration.

Pourquoi est-ce qu'autant d'attention médiatique y est portée dans ce cas ?

D.C. : C'est une nouvelle qui a d'abord été publiée par le New York Times, qui s'est clairement donné pour mandat d'attaquer Trump sur n'importe quoi. Dans les faits, ça aurait passé comme un rien. Mais il faut dire aussi que ça arrive à un moment où on se pose beaucoup de questions, avec toutes les enquêtes qu'on veut faire sur Trump et son entourage. Alors ça peut donner l'impression que c'est une forme de bataille avec son département de la Justice.

R.J. : Il faut le dire : c'est du sable lancé aux yeux du monde qui ne connaît pas les rouages du système politique américain. Trump a fait des gaffes, parfois il y est allé de déclarations et d'actions très particulières, uniques, controversées ou déplacées. Mais cette fois-ci, c'est très minime. En soi, ce qu'il y a de particulier, c'est qu'il les ait congédiés de façon aussi sommaire avant même que les successeurs ne soient confirmés.

Lors de son investiture, en janvier dernier, il a sommé une soixantaine d'ambassadeurs partout dans le monde de quitter leurs fonctions dans les heures qui suivaient, un peu comme il l'a fait avec les procureurs. Pourquoi agit-il si abruptement, selon vous ?

R.J. : Dans les deux cas, les mesures sont normales, mais là où Trump est différent, c'est dans la rapidité d'exécution. Si on prend ça dans un contexte plus général, Trump s'est mis beaucoup de monde à dos, notamment au sein de la fonction publique. On le voit juste par le nombre de fuites. L'équipe de Trump doit se dire : « La machine est là pour nous détruire, il faut faire le ménage. Si on limoge d'un coup, ça va donner un choc, mais on n'a pas le choix parce qu'on se fait tirer dessus de l'interne. »

Hier, le procureur fédéral de Manhattan, Preet Bharara, a déclaré qu'il avait été brutalement démis de ses fonctions après avoir refusé de démissionner. Il a déclaré qu'après l'élection de Donald Trump, le nouveau président lui avait pourtant demandé de rester en poste. Qu'est-ce qu'on doit comprendre de ce bras de fer ?

R.J. : On est beaucoup dans le « qui dit vrai ? ». C'est très difficile de savoir. Je ne serais pas à l'aise de prendre position parce qu'on ne connaît pas le fond de cette histoire.

D.C. : Quand un président te demande de démissionner, généralement tu acceptes. Il y en a qui ont refusé, donc ils ont été congédiés. Mais Manhattan... ce n'est pas n'importe quoi, être procureur général à Manhattan. Tu as les cas les plus importants du pays ! Mais bon, avec Donald Trump et Kellyanne Conway [la conseillère en communications de Donald Trump], on ne sait jamais qui dit vrai. Je pense qu'il y a une stratégie derrière tout ça.

Qu'est-ce que vous voulez dire ?

D.C. : Je commence à penser qu'ils font diversion... Les communications, c'est central en politique. On peut ne pas être d'accord avec eux, mais ils ne sont quand même pas niaiseux. Présentement, c'est difficile de faire une analyse claire. Il y a beaucoup d'hypothèses et ils jouent avec ça. Je n'ai jamais vu une présidence pareille depuis que j'analyse la politique américaine, soit depuis John F. Kennedy en 1960.