Donald Trump a signé un nouveau décret interdisant pendant 90 jours l'entrée des États-Unis aux ressortissants de six pays musulmans, décret amendé en vue de passer l'obstacle de la justice et d'éviter le tollé mondial de sa première version.

>>> Réagissez sur le blogue de Richard Hétu

L'accueil de réfugiés est également suspendu pendant 120 jours, le temps de mettre en place de nouvelles procédures permettant de vérifier le passé des demandeurs.

Le président américain continuait parallèlement à se battre sur un autre front, avec l'affaire des contacts supposés entre son entourage et des responsables russes pendant la campagne présidentielle.

Après avoir accusé ce week-end Barack Obama de l'avoir placé sur écoute avant l'élection, il a demandé au Congrès d'élargir son enquête et d'intensifier la chasse aux «fuiteurs».

M. Trump, invisible lundi, a signé le décret dans le Bureau ovale, et non lors d'un événement médiatisé. Il entrera en vigueur le 16 mars.

Ce décret «est une mesure vitale pour renforcer notre sécurité nationale», a assuré le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, lors d'une déclaration avec ses homologues de la Justice et de la Sécurité intérieure.

«Les principes du décret restent les mêmes», a assuré Sean Spicer, porte-parole de la Maison-Blanche.

Principaux amendements par rapport au décret du 27 janvier, bloqué par la justice fédérale: l'Irak ne fait plus partie des pays dont les ressortissants ne pourront plus entrer aux États-Unis, et les résidents permanents («cartes vertes») ainsi que les détenteurs de visas sont explicitement protégés.

Pour les réfugiés, la pause durera 120 jours, comme auparavant. Mais cette fois cela vaut également pour les réfugiés syriens, qui étaient bannis indéfiniment dans le précédente mouture du texte. Quant aux réfugiés dont le voyage aux États-Unis était déjà planifié, ils pourront s'y rendre. 

Décret plus solide 

Ce décret présidentiel est le prélude à la mise en place d'une politique de «vérification extrême» aux frontières -qui reste à définir- afin d'empêcher des infiltrations djihadistes.

L'administration a justifié l'urgence de ces mesures en affirmant qu'environ 300 personnes entrées comme réfugiés faisaient actuellement l'objet d'une enquête antiterroriste du FBI.

Avec le premier décret, suspendu par un juge le 3 février et définitivement révoqué lundi, Donald Trump avait été accusé de discrimination -potentiellement anticonstitutionnelle- envers les musulmans. Cette nouvelle version est présentée comme plus solide juridiquement.

Beaucoup plus détaillé, ce décret nouvelle version est deux fois plus long. Et la préférence accordée aux minorités religieuses persécutées, qui avantageait les chrétiens, a été supprimée.

De multiples exemptions possibles, au cas pour cas, sont énumérées: ceux qui rendraient visite à de la famille, auraient un enfant nécessitant des soins d'urgence, ou encore les étrangers ayant travaillé pour l'armée américaine, allusion probable aux interprètes irakiens, dont certains avaient été bloqués dans les aéroports.

Et le président décrit en longueur la situation sécuritaire des six pays frappés d'interdiction.

Il s'agit des trois pays listés par les États-Unis comme «soutenant le terrorisme» (Iran, Syrie, Soudan), ainsi que trois États «compromis de façon significative par des organisations terroristes» ou étant théâtres de «zones de conflit actives» (Libye, Somalie, Yémen). Vérifier les antécédents des demandeurs s'y avère impossible, selon l'administration américaine.

Stigmatisant

Cette réécriture a satisfait la majorité républicaine, dont beaucoup s'étaient désolidarisés du gouvernement.

«Ce nouveau décret promeut notre objectif commun de protéger le pays», s'est félicité Paul Ryan, président de la Chambre des représentants.

Mais les ONG et l'opposition démocrate ont dénoncé un texte à peine édulcoré, toujours discriminatoire.

La grande association de défense des droits civiques ACLU a promis de le contester, en donnant «Rendez-vous au tribunal» sur Twitter.

«Ce nouveau décret stigmatise toujours l'islam et les musulmans. Il ne rend pas l'Amérique plus sûre, mais il la rend moins grande», a déploré pour sa part Nihad Awad, directeur du CAIR, le Conseil des relations américano-islamiques.

L'Irak n'est plus visé car son gouvernement aurait accepté de fournir des informations supplémentaires sur ses citoyens demandant des visas. Bagdad, qui avait protesté d'être mis au ban, s'est félicité du revirement.

Pendant la pause de 120 jours, Washington demandera à certains pays de partager plus d'informations.

Avec ce lancement précautionneux, l'exécutif souhaite éviter les scènes de confusion vues dans les aéroports fin janvier, quand le décret avait été appliqué sans avertissement.

«Il n'y aura pas de chaos dans les aéroports», a expliqué un haut responsable du ministère de la Sécurité intérieure. «Si vous avez un visa valide, vous n'aurez pas de problème», a assuré un haut responsable du département d'État

Les dates clés du décret migratoire de Donald Trump

Voici les principales dates de la bataille judiciaire et politique autour d'une mesure phare du début de mandat du républicain.

Promulgation

Le 27 janvier, Donald Trump signe devant les caméras un décret de «Protection de la nation contre l'entrée aux États-Unis de terroristes étrangers».

Ce décret bloque l'entrée aux États-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane pour trois mois (Iran, Irak, Syrie, Soudan, Libye, Somalie, Yémen) et de tous les réfugiés pour quatre mois. Il n'y a pas de limite de temps pour les Syriens, dont l'entrée est bloquée indéfiniment.

Confusion dans les aéroports

L'entrée en vigueur du décret, le 27 janvier au soir, sème la confusion dans les aéroports où des centaines de passagers sont empêchés d'embarquer vers les États-Unis ou sont retenus par les services américains de l'immigration.

Des manifestations de soutien, notamment à l'aéroport JFK de New York, mobilisent des milliers de personnes.

Premier recours en justice

Le 28 janvier, plusieurs associations américaines de défense des droits civiques, dont la puissante Aclu, attaquent le décret en justice et obtiennent d'un juge fédéral de New York qu'il empêche l'expulsion des personnes interpellées en vertu de ce décret.

Suspension par un juge fédéral

Le 3 février, James Robart, un juge fédéral de Seattle (État de Washington, nord-ouest) émet une injonction temporaire qui bloque l'application du décret sur l'ensemble du territoire américain.

Les ressortissants des sept pays visés et les réfugiés munis d'un visa en règle peuvent de nouveau entrer aux États-Unis.

Rejet du recours du gouvernement

Le 5 février, la cour d'appel fédérale de San Francisco rejette l'appel de l'administration Trump et refuse de rétablir immédiatement l'application du décret migratoire.

Audience de la Cour d'appel

Le 7 février, la cour d'appel fédérale de San Francisco examine sur le fond le recours du président Trump contre la suspension de son décret.

Les avocats de l'administration Trump estiment que le décret contre l'immigration est un «exercice légal de l'autorité du Président».

Suspension maintenue

Le 9 février, la cour d'appel de San Francisco maintient la suspension du décret migratoire.

«Rendez-vous au tribunal, la sécurité de notre nation est en jeu», avait alors réagi Donald Trump sur Twitter.

Nouvelle version

Le 6 mars, Donald Trump signe une nouvelle version de son décret, qui n'entrera en vigueur que le 16 mars.

Cette fois, l'Irak ne fait plus partie des pays frappés d'une interdiction temporaire d'entrée aux États-Unis. En restent six: le Soudan, la Syrie, l'Iran, la Libye, la Somalie et le Yémen. Certains termes d'application qui avaient créé la confusion lors de la première adoption, comme le statut des détenteurs de la célèbre carte verte ou les bi-nationaux, sont clarifiés.

REUTERS

Donald Trump signant le premier décret, le 27 janvier dernier.